
Sous ses airs de français ordinaire à la voix tour à tour haut perchée puis rassurante et à la mine d’homme débonnaire se cachant sympathiquement derrière une grosse moustache noire (à ses débuts du moins, l’acteur ayant adopté le grand rasage de rigueur pour le magnifique Tandem de Patrice Leconte en 1987, ndlr) Gérard Jugnot fut l’un des membres très actif de la troupe du Splendid de la fin des années 70 au milieu des années 80 : Les Bronzés et sa première suite, Le père Noël est une Ordure, Papy fait de la Résistance… Autant de films au succès populaire certain et au coeur desquels le comédien prenait un joli plaisir à incarner les français moyens un peu beauf sur les bords avec une belle conviction dépourvue de prétentions auteurisantes, films encore aujourd’hui largement plébiscités par une large partie du public du grand et du petit écran.
Moins acteur de vocation que réel cinéphile désireux de passer de l’autre côté de la caméra Gérard Jugnot est le réalisateur-artisan de plus d’une dizaine de longs métrages pour lesquels il a – à chaque fois – porté la casquette de comédien à dessein de varier les plaisirs. Comparant un peu ironiquement sa manière de concilier sa fonction d’acteur et celle de réalisateur à « un mélange de collaboration et de résistance » en bonne et due forme cet amoureux de Luis Bunuel et de Henri-Georges Clouzot passe aux commandes de son premier long métrage en 1984 avec le très sympathique Pinot Simple flic tenant lieu dans un 13ème arrondissement parisien en pleine décrépitude et dans lequel il excelle dans le rôle-titre : mélange de burlesque un tantinet hystérique tout droit hérité de Louis de Funès et de bonhomie bienveillante à la Bourvil sa prestation modeste mais qualitative lui permet d’assurer le succès du film et ses nombreuses diffusions télévisuelles par la suite, en faisant un personnage pour qui il semble aisé et agréable de s’identifier.

Loin de stigmatiser les forces de l’ordre sans pour autant en dresser l’éloge Pinot Simple flic est un premier film tout ce qu’il y a de plus attachant, joliment introduit par le micro-tube très eighties de Louis Chedid en amont du métrage et largement ludique à force de guest stars très amusantes à repérer (Patrice Leconte en passager de métro indisposé, Jean-Marie Poiré en mélomane inattentif, entre autres…) et de situations burlesques inspirées du cinéma de Buster Keaton. Récit du quotidien de Robert Pinot – gardien de la paix sans envergure mais profondément humain amené à prendre sous son aile une jeune junkie interprétée par la débutante et étonnante Fanny Bastien, ndlr – Pinot Simple flic est une petite et touchante première incursion dans la réalisation de la part de notre moustachu à la voix de fausset et au visage placide, morceau de cinéma populaire qui annonce d’emblée la prédisposition du cinéaste pour les personnages imparfaits mais proprement attachants.
Après l’échec relatif de Scout toujours l’année suivante (malgré sa dimension fédératrice et somme toute très franchouillarde ce deuxième film a bien du mal à dépasser son sujet strict et ses nombreux effets slapstick, ndlr) Gérard Jugnot s’essaye à la fresque historique avec Sans peur et sans reproche, fabliau filmique des plus outranciers prenant comme point de départ la destinée du très chevaleresque Pierre Terrail de Bayard dans la France du XVème Siècle… Si la reconstitution médiévale a de quoi nous séduire (l’acteur-réalisateur a du reste souvent manifesté sa compétence à se documenter pour une époque propice à narrer une histoire, en témoigne son plus récent Monsieur Batignole cinématographiquement ancré sous l’occupation française de 1942, ndlr) le caractère poussif et très, trop burlesque des situations peine à nous convaincre.

Au gré d’une ligne narrative assez foutraque et comiquement inefficace Sans peur et sans reproche enchaîne les séquences graveleuses et triviales, sans doutes idoines compte tenu du contexte barbare et criminel du contexte dudit film mais trop appuyé pour forcément dépasser le cadre de la vulgaire pantalonnade. Entre des effets gores et une culture du viol et du saccage généralisés Sans peur et sans reproche fut pourtant – selon les dires du réalisateur – l’un des meilleurs souvenirs de tournage de sa carrière, ledit métrage regroupant pléthore de ses comédiens et amis : Patrick Timsit, Gérard Darmon, Martin Lamotte et même de brèves apparitions de Michel Blanc, Anémone ou encore Josiane Balasko… Grossier mais assumé tel quel ce troisième film demeure et restera le plus gros flop de la filmographie de Gérard Jugnot, sans doutes jugé à raison comme trop casse-gueule et surtout trop bas du front.
Il faudra attendre l’année 1991 pour assister à la nouvelle réalisation du comédien, fable sociale dans l’air du temps se penchant sur une France peuplée de laissés-pour-compte et arborant le titre logique et un rien suranné de Une époque formidable… Cette fois-ci le ton est davantage plus proche du Jugnot « Bourvil » que du Jugnot « De Funès » , l’acteur incarnant magistralement un Michel Berthier perdant tout en l’espace d’à peine quelques mois : travail, argent, famille et domicile. Filmé dans un Paris pluvieux et glacial et incluant en tête d’affiche le génial et charismatique Richard Bohringer et le trop rare Ticky Holgado (le second couteau pré-cité ayant déjà tenu jusqu’à quatre ou cinq micro-rôles de composition dans le précédent Sans peur et sans reproche, ndlr) Une époque formidable… reste à notre sens le meilleur film de son auteur, du moins le plus émouvant et le plus humain.

Montrant la déchéance sociale d’un ancien cadre quadragénaire n’ayant pu assumer son licenciement aux yeux de sa femme et de ses beaux-enfants ledit métrage cultive un esprit populaire que nous n’avions pas retrouvé depuis l’inaugural Pinot Simple flic, jouant d’un casting une nouvelle fois sans fausses notes : Chick Ortega s’avère impeccable en SDF toxicomane, de la même façon que Victoria Abril en hôtesse de l’air dépassée par la situation ou encore Roland Blanche en gardien de parking interlope. A noter la superbe partition de Francis Cabrel faisant joliment décoller un drame mâtiné de drôlerie touchante voire poignante, jusqu’à cette inoubliable vision finale de Toubib (Richard Bohringer) et Crayon (Ticky Holgado) quittant les lieux de la périphérie d’Orly au son des cordes et de la voix du musicien. Magnifique.
S’ensuivront d’autres films plus ou moins réussis, notamment le sympathique Fallait Pas en 1996 ou encore l’intéressant mais inégal Meilleur Espoir Féminin à la toute fin de la même décennie… Mais qu’il s’agisse du français moyen (Pinot Simple flic), du Moyen-Âge (Sans peur et sans reproche) ou du manque de moyens (Une époque formidable…) Gérard Jugnot est de ces réalisateurs-artisans capable de tirer de ses contes une élégante drôlerie ordinaire, concédant humblement n’avoir jamais eu de prétention autre que celle de divertir avec simplicité mais intelligence. Disponibles depuis le 2 mai dernier en Blu-Ray et DVD aux Éditions Rimini les trois films sus-cités sont également accompagnés d’un excellent documentaire en trois parties dans lequel le comédien et réalisateur revient sur son modus operandi mêlé de bon-sens et de bienveillance. C’est à voir, et à revoir.
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