
On ne dira jamais assez tout le bien que l’on pense de Sidney Lumet. Cinéaste éclectique et même temps profondément cohérent, il a su traverser chaque décennie avec panache, enchaînant les réussites comme les films plus mineurs sans jamais que cela n’impacte son aura. Il est assurément l’un des grands réalisateurs de l’Histoire du cinéma et il nous faudra le rappeler sans cesse tant son nom tend à rester peu cité, tout du moins pas assez à notre goût. C’est pour cela qu’on se réjouit que Splendor Films ait eu la très bonne idée de ressortir en salles en copie restauré le méconnu Daniel, que Lumet en personne désignait comme l’un de ses meilleurs films.

Réalisé en 1983 dans une décennie discrète pour le cinéaste (après les glorieuses années 70 où il enchaîna quasiment chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre) mais néanmoins riche en bijoux (on y trouve tout de même Le prince de New York, Le Verdict, Les coulisses du pouvoir et À bout de course, rien que ça), Daniel est un film complexe, adaptation par E.L Doctorow de son propre roman, librement inspiré de l’affaire des époux Rosenberg. Dans les années 50, le couple formé par Paul et Rochelle Isaacson est en effet accusé d’espionnage pour le compte de l’Union Soviétique et finira exécuté après des années de procès. A la fin des années 60, leurs deux enfants Daniel et Susan ont pris des chemins différents. Embrassant le ton contestataire de ses parents Susan est une militante engagée quand Daniel est plus sage, rejetant presque l’héritage familial, hanté par les souvenirs d’une enfance malheureuse privée de foyer. Mais quand un nouveau drame survient, Daniel va finalement se pencher sur son passé et chercher à comprendre ses origines…
Se déroulant sur deux temporalités, Daniel est l’occasion pour Sidney Lumet de continuer son exploration des institutions américaines et de leurs failles (son grand centre d’intérêt) en racontant comment le procès et la condamnation des époux Isaacson n’était finalement qu’une grande manœuvre politique à l’issue jouée d’avance. C’est aussi la première fois que le cinéaste parle de la famille et du poids des choix des parents sur leurs enfants (À bout de course achèvera d’explorer cette thématique avec brio). En effet, on se construit d’abord en opposition à ses parents ou avec eux et c’est en grandissant que l’on fait ses propres choix et que l’on constate combien nos parents et leurs décisions ont pesé sur nos épaules. Daniel devra accepter de se replonger dans son passé pour le revoir sous un nouveau jour et réaliser que rien n’était aussi simple qu’il ne le pensait.

C’est là en effet la grande réussite du film et celle du cinéma de Lumet en général : ce n’est jamais manichéen. Paul et Rochelle ont été injustement exécutés mais il n’empêche qu’ils ont pris des décisions mettant en danger leur famille : ni tout à fait martyrs ni tout à fait innocents, ils sont à l’image de tous les êtres humains, complexes, avec leurs convictions, leurs doutes et leurs failles, pouvant entraîner de terribles dommages. En laissant à Doctorow une grande liberté de scénario (venant du théâtre, Lumet avait toujours beaucoup de respect pour les auteurs), Sidney Lumet signe ainsi un film proche de ses propres convictions et dont les couches de narration, se révélant petit à petit, sans fioritures, sont infiniment complexes, faisant aussi bien le portrait de son héros Daniel (que Timothy Hutton, acteur sous-exploité, incarne à la perfection) que celui d’une Amérique toujours prête à broyer ses détracteurs, machine implacable ne souffrant aucune dissonance en son sein. Une grande réussite assurément, une de plus à ajouter au crédit du cinéaste.
Soyez le premier à commenter