Watcher : Fenêtre sur voyeur

Se lancer dans la cour des grands est toujours aussi excitant qu’effrayant. Se parfaire ses armes au seins de courts métrages demeure souvent le circuit traditionnel avant d’aborder la question du premier long. C’est exactement ce qu’a choisi de faire la réalisatrice Chloe Okuno. Après un segment remarqué au sein de l’anthologie horrifique V/H/S/94 et un court métrage, Slut, reparti avec le Prix du Meilleur Court Métrage lors du Las Vegas International Film Festival de 2014, la jeune Chloe Okuno s’est attelée à l’écriture de son premier film. De cette ambition est né Watcher, film qui est rentré dans le circuit directement en compétition lors du Festival de Sundance en 2022 et qui a reçu un Prix Spécial à Gérardmer tout en étant également en compétition lors du Festival de Deauville cette même année. Le film a connu un petit bout de chemin conséquent lors de divers festivals avant d’atterrir sur la plateforme Shudder aux États-Unis. Encore inédit chez nous, il faudra attendre patiemment le second trimestre de cette année afin qu’un éditeur choisisse de lui donner sa chance. Et c’est avec l’aide de Universal que Watcher est paru dans nos bacs vidéo. Comme tous les premiers films, Watcher n’est pas exempt de défauts, loin s’en faut, mais il renferme tant de qualités qu’il serait dommage de s’en priver.

Julia et son mari, d’origine roumaine, quittent les États-Unis pour emménager à Bucarest où ce dernier a trouvé un nouvel emploi. Ayant tiré récemment un trait sur sa carrière de comédienne, Julia se retrouve souvent seule dans son grand appartement et essaye de s’occuper comme elle peut. Une nuit, en scrutant par la fenêtre l’immeuble d’en face, elle aperçoit une silhouette qui semble la regarder en retour.

Comme vous devez vous en douter, il y a du Hitchcock dans l’air. Le maître du suspense est souvent cité lorsqu’il s’agit de tourner un film qui parle de faux-semblants et de doute. En dépit du fait qu’il partage un semblant de fraternité avec Fenêtre Sur Cour, Watcher s’affranchit rapidement de son modèle afin de nous emmener dans un tourbillon angoissant. Watcher est de ces films qui prennent le temps d’installer un climat et une ambiance précise qui dissimulent une tension qui se renforce au fil des séquences. L’intérêt du film ne réside pas dans l’idée de savoir si Julia est réellement observée : le fond du sujet est bien ailleurs. Le film essaie de comprendre comment une femme peut nourrir une multitude d’angoisses lorsqu’elle est dépossédée de tous ses repères et de tout soutien. Et pour ce qui est d’aborder son fond sous toutes les coutures, Watcher s’en tire avec tous les honneurs. C’est un film qui exige de ses spectateurs une certaine dévotion. En nous plaçant dans la même position que son héroïne, la réalisatrice cherche à brouiller nos repères, elle veut nous déstabiliser. Ainsi, nous n’aurons jamais de sous-titres lorsque des roumains s’exprimeront, ceci afin de renforcer le sentiment de solitude vécu par Julia. Nous sommes sans cesse aux côtés de l’héroïne et la suivons dans toutes ses tentatives de s’extirper de sa situation incommodante. Mais la perte de repères linguistiques n’est pas la seule chose qui constitue la détresse dans laquelle se retrouve piégée Julia. Il y a, surtout, une grosse notion d’abandon qui rend la situation des plus inconfortables. Au fur et à mesure que le personnage se sent épié et traqué, nous constaterons un désintérêt certain de la part de son seul pilier, son mari. Julia souffre clairement d’abandon à tous les niveaux ceci malgré un amour tangible qui règne au sein du couple en début de film. Le mari de Julia, d’abord conciliant et inquiet, abandonne son rôle petit à petit au profit de son job et de ses collègues qui pensent que son épouse est folle.

Lorsque les rôles basculent et que Julia semble définitivement seule, Chloe Okuno opère à un changement de point de vue sans que nous ne le remarquions de prime abord. Si elle décide de toujours nous laisser au plus près des événements qui touchent Julia, la réalisatrice distille un parfum de psychose dans l’air. Nous nous mettons soudainement à douter. Est-ce que Julia est bien traquée ou est-ce une manifestation de son mal-être qui lui joue des tours ? Malgré une réponse évidente, que le film tranchera radicalement au cœur de son épilogue, le doute prend une place de choix et rend le film extrêmement intrigant. N’omettons pas de souligner un solide travail sur la mise en scène. Chloe Okuno parvient à jouer de contradictions en prenant soin de nous montrer de beaux et grands espaces tout en nous donnant l’illusion de suffoquer en permanence. Le large cadre qui ouvre l’introduction en travelling arrière sur la fenêtre du couple paraît simple en apparence, mais il est redoutablement équivoque sur les intentions de la réalisatrice. Pour un premier long métrage, Chloe Okuno fait déjà preuve d’une audace certaine. Sous couvert d’une mise en scène en apparence classique, pour ne pas dire scolaire, elle arrive à faire peser l’environnement sur ses personnages. C’est une qualité rare que de parvenir à insuffler de la vie (ou en l’occurrence, ici, de la mort) aux lieux qui parsèment une œuvre. Les décors ne sont pas figuratifs, ils ont un rôle prépondérant à jouer et cela, Chloe Okuno l’a parfaitement saisi. Un peu trop même, puisque l’épilogue, même s’il est tranché, n’apporte pas l’extrême libération que nous attendions. Ce n’est, cela dit, pas le sentiment recherché par la réalisatrice. Sans trop vous en dévoiler, l’épilogue s’attarde beaucoup plus sur l’état psychologique de Julia plutôt que sur l’instant présent. La fin est aussi abrupte que l’action qui s’y déroule, nous laissant dans un état de détresse assez alarmant proche de celui de l’héroïne. Ainsi, le but de Chloe Okuno n’est pas de donner une fin précise à l’arc narratif de son personnage, mais plutôt d’y asséner une leçon, celle de ne jamais négliger les gens que nous aimons sous peine de les perdre définitivement. Watcher laisse circonspect quant à la véracité de ses propos finaux, mais qu’importe, les hautes qualités susmentionnées suffisent à découvrir une belle réalisatrice en devenir, et c’est bien tout ce qui importe.

Avec sa mise en scène sobre et minutieuse, une actrice principale dévouée et une histoire prenante, Watcher a tous les atouts d’un premier long métrage plutôt réussi. On lui pardonnera ses quelques écarts de route et sa fin trop sèche tant Chloe Okuno parvient à tenir la barque sans jamais lâcher prise.

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