Le Vrai du faux : De l’artifice à la révélation

Documentaire ethnographique ? Enquête criminelle ? Fable satirique ? Le Vrai du faux est un film déroutant, une expérience assez unique en son genre qui ne manque pas de charme. Il sort ce mercredi 7 juin sur nos écrans.

Armel Hostiou, né en 1976 à Renne, a étudié le cinéma à la Fémis, dans la section Image. Le Vrai du faux est son quatrième long métrage. L’événement à l’origine du film est on ne peut plus banal, un fléau des temps modernes : l’usurpation d’identité sur un réseau social, en l’occurrence Facebook.  Un faux Armel Hostiou est apparu, mais avec de vraies photos de lui, telle une création/créature échappant à son créateur, menant, semble-t-il une existence assez exaltante, entouré d’amies vivant toutes à Kinshasa, toutes plus avenantes les unes que les autres et appâtées par la perspective de castings et d’évolutions vers une gloire fantasmée. Armel Hostiou décide donc de partir à l’aventure et de se rendre En République démocratique du Congo à la recherche de ce double énigmatique et fascinant. On se retrouve ainsi confronté à des thématiques universelles : la labilité entre le vrai et le faux, la confusion entre le réel et le fantasmé, la confrontation un autre soi-même au chemin de vie totalement divergent… dans le contexte d’une satire des moyens de communication moderne facilitant toutes les tromperies.

Le film démarre donc comme une enquête menée par le détective « doublé » et que nous suivons à travers sa caméra. On retrouvera les tenants et aboutissants classiques : recours à des experts, rendez-vous manqués, témoignages peu éclairants, filatures, pièges tendus… Tout cela est mené à un rythme soutenu et nous permet de découvrir les coins et recoins de cette ville tentaculaire qu’est Kinshasa, où tout semble possible. Néanmoins notre réalisateur est peu efficace dans sa recherche et voué à se retrouver dans des impasses, à tel point qu’il suscite la compassion de ses interlocuteurs, y compris les chiens Macron et Trump. On ressent beaucoup d’intérêt à voir et écouter les différents protagonistes qui sont autant de personnages dont on ne saurait à coup sûr percer à jour la véritable identité, tant tout est emberlificoté dans ce faux (?) documentaire réjouissant.  

On assiste à un réseau de mise en abyme complexe et déconcertant, le réalisateur se mettant lui-même en scène sans que l’on sache véritablement si l’homme naïf, mais obstiné, que nous observons est bien lui ou une pure fiction, ce qui confère un aspect comique dans une atmosphère d’auto-dérision. Ainsi on ne peut que sourire en le voyant très préoccupé par les propos d’un marabout, autre visage de la manipulation, qui lui réclame 22 têtes de mouton et 22 têtes de corbeau parfaitement convertibles en monnaie moderne, sans quoi les pires fléaux vont s’abattre sur sa propre tête de pigeon à plumer. De même, une scène assez hilarante nous le montre refusant d’admettre sa véritable identité devant des jeunes femmes ayant vu la photo du profil de son double. Elles-mêmes espérant se retrouver sélectionnées pour un film réalisé par celui-ci. Double qui pourrait devenir l’unique, lassé d’être un clone ne réalisant rien. On le voit, c’est assez vertigineux et labyrinthique à l’image de Kinshasa. Ne boudons pas notre plaisir.

A un autre niveau d’analyse, le film peut être perçu comme une satire du post-colonialisme, d’une idéologie des droits de l’homme réservée à des privilégiés se souciant peu des damnés de la terre. La lutte est réelle, incarnée par certains des protagonistes qui se battent avec les armes qui sont les leurs, notamment artistiques. On est fasciné par les créations exaltantes dans différents domaines et notamment celui de la réalisation filmique : un passage nous présentant des paysages où l’on se réfugie est tout simplement  virtuose, comme si le renouveau esthétique ne pouvait que surgir hors des chemins balisés de nos médias corsetés.

Un autre aspect, malheureusement si universel, est celui du poids du patriarcat. La manipulation d’aspirantes comédiennes avides de célébrité met en évidence le peu de perspectives qui s’offrent à elles. Il n’y a, semble-t-il, aucun scrupule à manipuler des rêves qui ne sont que des impasses. Une séquence détonne par son registre pathétique, sans que là encore on ne soit assuré de la véracité des propos : de jeunes femmes évoquent face caméra le recours quasi-obligatoire à des hommes plus âgés afin de simplement survivre. A contrario, on en voit d’autres qui ont parfaitement su s’adapter à la technologie moderne et à la psyché sommaire des individus masculins que l’on rencontre au détour des réseaux : elles sont devenues expertes dans l’art d’obtenir ce qu’elles veulent et c’est avec une certaine jovialité qu’elles se sont accaparé les outils de la manipulation virtuelle.

C’est vraiment sans réticence que l’on peut se laisser entraîner dans ce déroutant autant que fascinant Le Vrai du faux. Au-delà de son aspect ludique, il est aussi un dévoilement de vérités enfouies non abolies par la surface lisse de nos écrans.

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