Camila sortira ce soir : Liberté la nuit

Le soir, Camila troque sa jupe et son chemisier de lycée conservateur à Buenos Aires pour des vêtements qui la représente. Ce sont ces moments qui permettent à l’adolescente et à ses nouveaux amis de se mettre à nu, d’apprendre à se découvrir loin des stéréotypes et des interdits de la société argentine. C’est l’aube d’une révolution féministe à petite échelle certes, mais à celle du monde qu’est celui de Camila. Au fil des secrets et du soutien de ses amies, Camila ne veut plus laisser passer l’inadmissible. Camila sortira ce soir.

Le premier film de Ines Maria Barrionuevo, habituée des documentaires,  s’inscrit comme un « coming of age », soit une œuvre qui dépeint une période faite de bouleversements dans la vie d’un ou d’une adolescente, d’un ou d’une jeune adulte. De fait, nous, spectateurs, suivons le transfert de Camila d’un lycée de campagne à un lycée de ville plus conservateur, mais aussi un certain transfert des mentalités.

Camila sortira ce soir se rapproche du film contemplatif, et, par sa nature de film « coming of age », du fameux Call me by your name. La photographie tout comme le son sont impeccables, et relèvent d’une douceur étonnante.  Les couleurs aseptisées du lycée se confrontent aux néons roses de la boite de nuit dans laquelle s’épanouissent flirts et rapprochements. L’on ne peut que se rappeler de la scène d’amour entre Camila et Clara sous le plastique qui protège le lit de la grand-mère conservatrice. Si cette scène ne dévoile que peu de détails, les plans revêtent un aspect de rêve et de douceur, dans un monde qui ne l’est pas pour les femmes. Il est bon de rappeler qu’en Argentine, les mentalités et les droits des personnes LGBT ainsi que des femmes évoluent bien trop lentement. De ce fait, Ines Maria Barrionuevo amène à la fois de manière anecdotique et marquante des sujets propres aux femmes et aux personnes LGBT, tels que l’avortement (légal mais très entravé), mais aussi le coming out. Ces sujets ne sont pas un poids pour les adolescents, mais peuvent être vus comme des cicatrices qu’ils gardent tout en se détachant de leurs entraves la nuit, pour se sentir libres.  

Sans cesse, Camila se découvre. Elle vit plusieurs expériences amoureuses ou non, elle échange sa tenue de lycée conservateur pour des vêtements légers à paillettes. Mais se découvre-t-elle réellement ? Il est pour nous difficile de savoir si Camila se cherche, ou si elle s’assume. N’ayant pas accès à sa vie passée en tant que spectateurs, il peut être difficile de partir du principe que Camila se découvre, tant l’aplomb et parfois le silence du personnage peuvent désarçonner les spectateurs. Camila, comme tous les autres adolescents semblent être mis à distance des spectateurs par le manque d’informations les concernant, voire même de failles psychologiques et d’émotions. Et c’est le cas pour notre personnage principal, qui est imperméable. Choix de la réalisatrice certes, mais ce choix peut nous empêcher de développer une empathie certaine. Alors, peut-être vaut-il mieux se dire que cette mise à distance est une représentation de l’inaccessibilité de la psyché des jeunes gens. Inaccessibles, mais plus libres.

Ce qui est frais et plaisant à voir et à entendre est la manière dont est abordée la sexualité dans des milieux non institutionnels. La potentielle bisexualité de Camila ou les sexualités des autres personnages (qui ne sont pas forcément hétéronormés) ne sont pas perçues comme différentes. Elles sont vues de manière normale, peut-être même plus normale qu’un changement de lycée. Il en est de même pour les corps : ils sont normaux, et ne sont plus que sexualisés : les gros plans sur les visages ou parties du corps deviennent des prétextes à saisir l’art là où il se trouve. Prenons par exemple la scène dans laquelle Camila avoue à sa mère avoir eu une relation avec une femme. Le choc de sa mère provient de la violence des mots qu’utilise l’adolescente pour parler de sa grand-mère, et non de la découverte de la bisexualité de sa fille. D’ailleurs, il peut sembler dommage de ne pas avoir plus développé le personnage de la mère de Camila, qui intéresse étrangement malgré son peu de temps à l’écran. Mère célibataire s’occupant de ses deux filles, elle semble assez rapidement être mise en opposition face à sa fille pleine de fougue. Pourtant, elle ne manque pas d’humour, de compréhension, et  cette femme revient pour voir s’éteindre sa mère, elle-même perçue par Camila comme une « fasciste qui ne manquera à personne ». C’est donc au second plan la douleur d’une mère qui perd sa propre mère, quelles que soient ses idées politiques. C’est ce fragment de vie et de souffrance du personnage secondaire qui peut renvoyer aux spectateurs l’imperméabilité de Camila, qui peut être assez mal venue dans une telle œuvre engagée. De fait, cette imperméabilité du personnage semble étonnamment se fissurer lorsqu’il est victime de harcèlement sexuel au sein même de son lycée conservateur qui, par le silence, protège son agresseur. Les dégâts sont irréversibles, et c’est certainement le harcèlement qui devient en grande partie le sujet principal, peut-être car plus universel, si tant est que l’on puisse utiliser ce mot.

Nous pouvons dire avec l’aplomb qu’est celui du personnage principal qu’il faut aller voir Camila sortira ce soir dans les salles obscures. Il faut aller le voir car les films qui exposent les conditions des femmes et leurs causes féministes dans divers pays ne courent pas les rues. Ce sont le plus souvent des petites pépites qui n’ont pas les félicitations qu’ils méritent, tout simplement. L’on pense à Mustang de Deniz Gamze Erguven. Étonnamment, l’on y trouvera une dose de fraicheur, mais aussi d’humour, qui viennent illuminer les situations les plus difficiles.

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