Marinette : La Bleue dans les Yeux

Inconnue pour beaucoup, l’histoire de Marinette Pichon a de quoi impressionner. Hommes et femmes confondus, il s’agit de la première joueuse française à être recrutée aux États-Unis et la première buteuse en équipe de France jusqu’en 2020 avec plus de 80 buts à son actif. Pour la réalisatrice Virginie Verrier, c’est l’occasion parfaite de mettre en avant le parcours d’une grande athlète féminine à une époque où l’envie de raconter d’autres histoires se fait de plus en plus ressentir. Marinette est un biopic. Le film s’assume comme tel avec toutes les qualités et les défauts que cela implique. Garance Marillier y incarne cette footballeuse au passé difficile avec nuance et fragilité, mais peine à porter le personnage autrement quand elle devient plus assurée dans sa carrière. Le film n’échappe pas au côté “mise en image de page Wikipédia”, heureusement rattrapé par une réalisation énergique, et surtout visuelle. Les dialogues explicatifs du genre sont ainsi remplacés par de (trop) nombreuses scènes de montage musical qui ont l’avantage de donner un rythme entrainant au film. On regrette tout de même ce point de vue d’auteur qui a permis à certains biopics de transcender leur forme. Il n’en demeure pas moins que Marinette est un film très plaisant à regarder, qui mérite qu’on lui donne sa chance, rien que pour découvrir le parcours de cette femme dans cet univers si particulier.

C’en est presque devenu un cliché, mais Marinette Pichon a connu une enfance particulièrement difficile. Elle a très vite été confrontée à la violence au sein d’un foyer toxique, où son père alcoolique, incarné par un Alban Lenoir méconnaissable, n’hésitait pas à battre sa femme et ses filles selon ses envies. Peu attentive à l’école, le football est rapidement devenu son échappatoire. Son premier grand amour en quelque sorte. Soutenue par sa mère et son coach (le lumineux Fred Testot), elle jouera dans une équipe mixte jusqu’à ses 16 ans, avant d’intégrer une équipe féminine en D1 pour finalement rejoindre l’équipe de France, où elle se fera recruter par une équipe américaine. En parallèle de cette ascension, Marinette se découvre en tant que femme homosexuelle et doit gérer sa situation familiale oppressante. Cette dernière n’est clairement pas la partie la plus intéressante du film. Il est bon de rappeler que ces contextes de violence et de maltraitance sont encore monnaie courante de nos jours. Néanmoins, ces scènes auraient pu être montrées de manière beaucoup moins régulière, ou plus finement, sans que cela entache la compréhension du trauma vécu par Marinette. Pareillement, aussi vraie soit cette scène dans laquelle le professeur méprisant de Marinette lui dit que “footballeur n’est pas un vrai métier”, était-elle vraiment nécessaire ? Le film perd de sa superbe à chaque fois qu’il tombe dans ce type de conflits alors qu’il en gagne lorsqu’il se laisse aller à l’effervescence de la passion sportive et des difficultés qui en résultent.

Plongés dans le mental de Marinette, nous suivons ses difficultés avec une profonde empathie. La manière dont Virginie Verrier met en avant la footballeuse rappelle l’énergie incroyable derrière un autre biopic français récent, Suprêmes (aussi hanté par la présence d’un père violent). Travellings, contre-plongées, caméra épaule dans le feu de l’action, l’envie de montrer le talent de Marinette est là, même si desservie par un budget trop resserré pour dépeindre toute l’intensité d’un match. Car, il faut bien l’avouer, le film est plutôt avare en match. Beaucoup sont ellipsés ou représentés par une ou deux actions décisives dans des stades relativement identiques. L’effet fonctionne les premières fois avant que le cache-misère saute rapidement aux yeux. Dans un discours un peu méta, on pourrait dire que, de la même manière que les compétitions féminines ont manqué de soutien des institutions, le film a connu le même sort par rapport à l’ambition inhérente à un tel projet. Bien évidemment, le principal objectif du film est de raconter la vie de Marinette Pichon. Seulement, que serait un biopic de forme classique sur un grand musicien sans des scènes de concert éclatantes ? La logique est sensiblement la même. En tant que néophyte, on a finalement du mal à appréhender le talent inouï de cette joueuse tant la façon dont il s’exprime est limitée à l’intérieur du film. 

L’autre problème de Marinette, c’est l’incapacité du film à se focaliser sur une thématique particulière sans s’éparpiller sur tous les évènements important de la vie de Marinette Pichon. Son personnage ne connaît pas d’évolution assez claire et poussée pour dégager une véritable arche digne de ce nom. On aurait pu croire qu’il s’agissait de montrer comment, de joueuse harcelée pour sa fragilité, Marinette apprend à devenir une leadeuse (elle dirige un club aujourd’hui), mais la chose n’est pas développée. La relation entre Marinette et son père, aussi importante soit-elle dans la construction du personnage, prend fin en milieu de film quand celui-ci est arrêté, même si elle réapparait allégoriquement sous la forme d’une compagne abusive pendant son séjour aux États-Unis. La question homosexuelle est traitée avec justesse, mais n’est pas non plus centrale puisque la compagne actuelle de Marinette n’apparaît que dans les dix dernières minutes de film. Le sujet se trouverait donc dans la relation entre la Fédération Française de Football et le football féminin, car encore aujourd’hui le statut de joueuse professionnelle n’existe pas, ce qui rend quasiment impossible pour les footballeuses de gagner leur vie décemment sans avoir un travail alimentaire à côté. Ce manque d’investissement entraine un manque de performance, qui entraine à son tour un manque d’intérêt et donc un manque d’investissement. Un cercle vicieux dont Marinette fera le constat à plusieurs reprises pendant tout le film jusqu’à un monologue final percutant. Le problème, c’est que la réalisatrice ne prendra jamais le temps de montrer toutes ces difficultés, trop accaparée par la vie de Marinette, à la fois porte-parole et exception de ce milieu. 

Marinette ne raconte pas tellement la réussite incroyable d’une brillante athlète que son destin contrarié par un refus politique de sa fédération de leur donner une chance de pouvoir performer. Les ambitions de Marinette d’arriver dans les dernières phases d’une coupe du monde ne seront jamais assouvies, lui faisant regretter ces années aux États-Unis où elle était bien plus respectée dans son travail. Une nouvelle fois, c’est The Jokers à la distribution de ce projet atypique au sein du paysage audiovisuel français. On ne peut que les remercier pour leur travail de qualité et espérer un beau succès pour ce petit, mais émouvant film.

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