Family Dinner : Le régime Dukan, niveau « expert »

S’il y a un terme « fourre-tout » qui revient régulièrement lorsque l’on parle de cinéma horrifique ces dernières années, c’est bien celui de « elevated horror ». Terme que l’on considère quelque peu galvaudé tant il est utilisé en vain dès lors qu’un film ne rentre pas dans une case bien définie. Qu’entend-on par elevated horror ? Difficile de s’accorder sur une définition précise. Disons que le terme désigne une particularité de films qui tendent à proposer de l’horreur viscérale abordée de manière cérébrale la plupart du temps, avec parfois un sous-texte qui aborde des maux sociétaux actuels. Cela fait très réducteur de résumer ce genre ainsi tant nous en sommes les premiers clients, mais si d’aventure vous seriez attirés par des films comme Midsommar, The Witch, Mister Babadook ou encore Rosemary’s Baby alors il est fort probable pour que vous soyez clients de ce genre de propositions. On dénotera toutefois une appétence pour le paganisme qui parsème bien souvent ces projets. C’est dans cette optique que nous nous sommes rués sur la seconde exclusivité Shadowz de la semaine dernière, juste après notre découverte de Huesera (film qui nous a plutôt séduit, nous vous invitons à aller consulter notre avis le concernant), qui, sur le papier, semblait alléchante. Family Dinner était vendu par Shadowz comme un film emprunt d’une ambiance lourde, à mi-chemin entre Good Night Mommy et Hérédité, avec un angle de vue singulier sur le thème de la grossophobie. Tout un programme que nous nous sommes empressés de décrypter pour vous.

En surpoids et peu sûre d’elle, Simi passe le week-end de Pâques avec sa tante, une célèbre nutritionniste, dans l’espoir que cela l’aidera à retrouver une voie plus saine. Mais la dynamique glaciale de la famille et une atmosphère de plus en plus malveillante laissent Simi mal à l’aise. Tiraillée entre un cousin hostile, une spécialiste dictatoriale et un beau-père trop gentil pour être honnête, Simi risque de ne pas perdre uniquement que du poids.

Film autrichien réalisé par Peter Hengl, Family Dinner a tout d’une proposition singulière. Dénoncer les pressions sociales envers les personnes en situation d’obésité en invoquant les réflexions les plus viles que ces dernières subissent est un sujet fort. Le film séduit par sa capacité à ne pas se morfondre sur les stéréotypes téléphonés que le spectateur s’attend à voir. Au contraire, en dépit du fait que la grossophobie soit le moteur de son histoire, Hengl décide de se focaliser sur l’étrange quotidien qui constitue la famille. Le mal-être de son héroïne est palpable, nul besoin d’en rajouter. En revanche, le réalisateur brouille les pistes en rendant tour à tour sympathiques, puis dérangeants, les interlocuteurs qui gravitent autour de Simi. Les sens sont brouillés au fil des séquences, on ne sait plus s’il faut se méfier de tout le monde ou si l’un des membres de cette famille dit bien la vérité. Un élément perturbateur viendra confirmer l’orientation désirée par l’histoire lors du second acte. Une décision mal gérée et qui fera basculer le film de la fascination à la profonde désillusion jusque dans son épilogue, mais nous y reviendrons plus bas. L’angle d’attaque du réalisateur afin de nous plonger dans le corps de Simi et de nous faire ressentir sa faim demeure ce qu’il y a de plus fascinant à décortiquer de Family Dinner. Le personnage subit un jeûne forcé et est mis au régime sec : uniquement de l’eau. Cette dernière doit, selon les méthodes de sa tante, purifier son corps afin d’être de nouveau apte à accueillir de la nourriture. Elle est en recherche de fusion avec les aliments, le corps doit ressentir les effets que les aliments lui apportent. Ceci étant, seul le cousin n’est pas mis au régime sec et tous les autres membres doivent se congratuler de le voir se régaler à chaque repas. Le film brouille les pistes en nous affamant en permanence par le biais de plats qui ont tous l’air aussi succulents les uns que les autres. Seulement, si l’on se donne la peine de réfléchir un tant soit peu, surtout après la découverte qui conclue le second acte, Family Dinner ne se prédestine pas à un twist étonnant. Il grille facilement ses rares atouts et se sabote douloureusement dans un dernier acte tout bonnement raté.

En effet, dès lors que les enjeux sont clairs sur ce qu’entreprend cette famille dysfonctionnelle, Family Dinner ne parvient pas à renverser la vapeur. Tel le Titanic lancé à vive allure sur l’iceberg qui l’a précipité à sa chute, le film de Peter Hengl ne parvient pas à maintenir notre curiosité jusqu’au bout. Lorsque survient l’ultime révélation, nous aurons à peine un hochement de sourcil à lui accorder tant tout était prévisible depuis de très longues minutes. D’une fascination plutôt honorable (la première moitié du film se tient, mais n’est pas irréprochable pour autant) nous assistons à une déchéance qui fait autant d’effet que d’attaquer une levrette avec une demi-molle : le défi est excitant, mais le résultat souvent décevant. Family Dinner embrasse une certaine idée de rite païen mais n’en comprend ni les codes, ni les enjeux. Alors, oui, le film propose bien une finalité à la souffrance de son héroïne. Les mots sur ses maux changent. Son poids ne devient plus cause du problème, mais les nouveaux enjeux initiatiques font l’effet d’un pétard mouillé. Avec une ambiance malfaisante et oppressante et surtout un découpage de l’histoire précis qui prend le temps de s’attarder sur chaque jour de la semaine passée dans cette famille, nous étions en droit d’attendre un twist digne de ce nom. Tout ce qui fait l’enjeu et l’attrait d’un bon film estampillé « elevated horror » réside en sa montée crescendo de la pression qu’il opère sur son spectateur afin de proposer un final spectaculaire qui marque les rétines définitivement. Ici, lorsque le générique de fin apparaît, nous sommes plutôt tentés de nous en aller manger un bon plat mijoté plutôt que de suspecter le moindre ingrédient versé dans notre assiette. Le réalisateur loupe le coche et sa conclusion manque cruellement de saveur et d’audace. Un beau gâchis en somme.

Family Dinner n’est clairement pas à la hauteur de ses ambitions. S’il aborde certains thèmes avec un bel aplomb, notamment celui sur la grossophobie, il se sabote par un paganisme sous-exploité qui aurait gagné à laisser des traces indélébiles autant dans nos souvenirs que dans notre caleçon. Le film manque véritablement d’audace et d’un jusqu’au boutisme assuré, mais surtout de documentation autour du rite qu’il essaie d’aborder. Ne reste qu’une curiosité potable pour quiconque n’ayant jamais vu The Wicker Man ou les deux premiers films de Ari Aster (pour ne citer qu’eux). Si vous êtes coutumiers de ce genre de propositions, passez allégrement votre chemin, Family Dinner vous frustrera nettement à défaut de vous surprendre.

Abonnez-vous sans crainte à
SHADOWZ – L’unique plateforme de SCREAMING !

Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*