Succession – Saison 4 : Le déclin d’un empire américain

Ces dix dernières semaines se sont déroulées pour nous dans un état de fébrilité permanent. Effet du printemps et de notre passage au festival de Cannes ? Que nenni ! Ce qui nous faisait vibrer ces derniers temps, c’était de suivre chaque lundi, après sa diffusion US sur HBO, la quatrième saison de Succession. Ceux qui nous lisent depuis un moment savent l’amour que l’on a pour la série et que l’on a déjà clamé dans nos colonnes. Préparez-vous car cet amour est prêt à se déclarer une toute dernière fois alors que le showrunner Jesse Armstrong a pris la décision de s’arrêter au sommet, au terme d’une quatrième saison, annonce qui a été faite tardivement, nous prenant de court mais qui laissait également augurer le meilleur pour la série. Car, on le sait bien, les meilleures séries sont celles qui savent s’arrêter à temps et dans ce rayon, Succession fait fort. C’est donc parti pour vous expliquer en quoi la série fait une nouvelle fois des merveilles mais soyez prévenus chers lecteurs, afin de pouvoir étayer nos arguments critiques, ça va spoiler méchamment !

La troisième saison se terminait par la trahison de Tom, préférant choisir de rejoindre Logan Roy (‘’parce qu’il gagne toujours’’) quitte à se mettre Shiv et la fratrie Roy à dos. Alors que la vente de Waystar à Lukas Matsson doit être actée, Kendall, Roman et Shiv se demandent ce qu’ils peuvent faire pour en tirer le maximum et mettre des bâtons dans les roues de leur père, cet ogre régnant sur sa famille autant que sur son empire et qui n’obéit qu’à une seule valeur : l’argent. Et pourtant, ce colosse à priori imbattable va décéder, au cours d’un épisode trois aussi brillant que décisif pour la suite de la série. Coup de maître de la part de Jesse Armstrong de nous surprendre en tuant Logan Roy alors que sa mort est au cœur même du titre de la série et qu’il s’agit depuis le début pour tous les personnages de ‘’tuer le père’’. La mort de Logan, qui n’a finalement jamais été aussi humain que lors de cette séquence, allongé tristement sur le sol d’un avion, frappé par la mort comme le commun des mortels au moment où l’on s’y attendait le moins, va bien évidemment alimenter le reste de la saison et donner sa ligne directrice à la série jusqu’à son final, Logan Roy (Brian Cox dans ce qui restera son meilleur rôle et qui nous manque ensuite beaucoup, quand bien même son personnage était un vrai salaud) hantant les sept épisodes suivants.

Dès lors, il s’agit pour la famille Roy de savoir quoi faire de cet héritage laissé par leur père. Un temps soudés au moment du décès de leur père, Kendall, Roman et Shiv n’ont pas abandonné leurs vilaines habitudes pour autant. Il s’agit toujours, pour eux, de se battre pour savoir qui sera couronné car tout le monde le sait, sur le trône, il ne peut y en avoir qu’un. Et tandis que Kendall et Roman se verraient bien saboter le deal avec Matsson, Shiv préfère pactiser avec le génie de la tech pour s’assurer une place au soleil, de peur – à raison – d’être doublée par ses frangins… La série déroule ainsi son programme habituel : trahisons, joutes verbales mordantes et opportunisme total du côté des personnages. Du côté du spectateur, c’est toujours aussi réjouissant, Armstrong et son équipe de scénaristes réussissant systématiquement le tour de force de rendre les personnages à la fois hilarants, détestables, pathétiques, touchants et surtout complètement perdus, se rêvant héritiers d’une couronne trop grande pour eux.

Leur père leur dira, lors de leur dernier échange une phrase qu’ils auraient dû retenir : ‘’I love you but you are not serious people.’’ De fait seul Connor semble avoir accepté sa situation (‘’I don’t need love. It’s like a superpower’’) et est finalement le plus lucide sur son rapport avec Logan là où Kendall s’accroche encore à la promesse absurde que son père lui avait faite lorsqu’il avait sept ans, lui affirmant que ce serait lui son héritier. C’est finalement une sorte de jeu massacre se mettant en place, aucun des enfants n’écoutant ce qu’on ne cesse de leur répéter durant toute la saison, à savoir qu’ils ne sont pas leur père. Et si Shiv, dans ses tentatives désespérées d’avoir du pouvoir et Roman, dans son rapport complexe à l’autorité sont touchants, l’hubris de Kendall, lui qui devrait avoir retenu les leçons tirées des saisons précédentes, menace une fois de plus de prendre des proportions stratosphériques.

Il est incroyable de constater combien la série, sans profondément renouveler ses enjeux (il s’agit toujours de passer des coups de téléphone, de faire des assemblées générales, d’obtenir des votes, de trahir sa famille ou son conjoint), demeure absolument passionnante. D’abord parce que c’est une formidable tragédie familiale, assumant ses élans tragiques directement hérités de Shakespeare (à ce titre, Kendall aura été tout au long de la série, le personnage le plus tragique et sans cesse joué ainsi par Jeremy Strong) tout en réussissant le petit miracle d’être également une comédie corrosive au cynisme décapant et aux répliques hilarantes. On peut tout à fait, en l’espace de quelques minutes dans la série, passer du rire aux larmes tant Succession semble se nourrir avidement de la vie elle-même, cette chose absurde qui n’a guère de sens et dans laquelle tout ce qui arrive n’est que chaos. On pourra également noter combien la série fait le portrait en filigrane d’une certaine Amérique, ce pays décadent soumis au dieu Argent et de toute une génération d’empires représentant un capitalisme à l’ancienne, voués à disparaître à petit feu, engloutis par des entreprises plus modernes (parfaitement représentées ici par Matsson, incarné avec une gourmandise évidente par un Alexander Skarsgard en grande forme). Cet empire médiatique, où l’on élit des présidents qui ne le sont pas encore (hallucinant épisode 8 sur les coulisses d’un tel événement) et où l’on balaie d’un revers de la main toute affaire potentiellement embarrassante, n’a peut-être jamais été aussi bien dépeint que dans la série.

Mais Succession c’est surtout une grande série de personnages, chacun d’entre eux ayant une trajectoire narrative à la fois surprenante et en même temps totalement logique jusqu’au final, conclusion parfaite et magistrale venant nous asséner un uppercut en plein estomac, confirmant la perfection (aussi bien sur le plan narratif que celui de la mise en scène et de l’interprétation, le tout sans cesse relevé par la géniale musique de Nicholas Britell) de la série qui aura tenu son exigence tout au long de ses 39 épisodes. On peut d’ores et déjà être pris d’un sentiment de nostalgie et se demander quand nous reverrons une série d’un tel acabit à la télévision américaine mais on ne peut que donner raison à Jesse Armstrong de s’être arrêté là, le final parvenant à nous faire vibrer en convoquant tour à tour chacune de nos émotions. Saluons une fois de plus le travail des acteurs, Jeremy Strong, Kieran Culkin (plus touchant et fragile que jamais), Sarah Snook,, Matthew Macfadyen, Nicholas Braun et Alan Ruck étant impeccables dans des rôles semblant désormais écrits sur mesure, Strong étant parfait en fils se rêvant plus grand qu’il ne l’est tandis que Shiv et Tom confirment dans cette saison en une poignée de scènes (dont une déchirante sur un balcon) qu’ils sont les meilleurs personnages d’une série qui en comporte pourtant beaucoup. Nous nous arrêterons là avant de tourner en boucle et de nous répéter mais rares sont les séries à être aussi courtes et à réussir dans le même temps à avoir un tel impact émotionnel. Nul doute qu’elle sera étudiée par de nombreux scénaristes comme un modèle dans les années à venir, nul doute que nous y reviendrons un jour parce qu’on ne va pas se mentir : ils étaient odieux mais les Roy nous manquent déjà…

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  1. Édito – Semaine 24 -

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