INLAND EMPIRE : Unaccessfull Stars (variations by Lynch)

Dixième – et peut-être ultime – long métrage du réalisateur David Lynch, INLAND EMPIRE pourrait (devrait ?) logiquement (?) boucler la boucle d’une filmographie en forme de décalogue, de déca-danse ; une Oeuvre construite à renfort de dé-construction(s) des genres et des univers vécus et/ou fantasmés par les figures la jalonnant sans fausse pudeur, avec ce mariage étrange de sublime et de grotesque, d’absurdité et de beauté, de vacarme vexatoire et de langueur ponctuant doucement un flux visuel et acoustique littéralement dantesque.

Apanage idéal du Cinéma de l’auteur de Lost Highway et de Mulholland Drive et de ses infatigables aficionados INLAND EMPIRE n’est rien de moins que la synthèse de l’Oeuvre sus-citée, un bloc filmique de près de trois heures qu’il serait bien ardu et hasardeux de résumer de manière un tant soit peu orthodoxe. Authentiquement non-linéaire, réfutant le vernis glamour du précédent film de son réalisateur (le chef d’oeuvre Mulholland Drive, resplendissant objet de cinéma devenu aujourd’hui l’une des références majeures de ce XXIème Siècle déjà bien entamé, ndlr) INLAND EMPIRE est un morceau de Septième Art aussi extraordinaire qu’il demeure harassant et proprement inaccessible pour le néophyte, visiblement et principalement réservé aux inconditionnels de son Cinéma mêlé d’angoisse et d’onirisme redoutablement rabattus, grondants et diffus tout à la fois. Sorti un beau jour de février 2007 dans une esthétique de vidéo numérique bizarrement accouplée aux textures granuleuses du 35mm destinées aux projections de l’époque INLAND EMPIRE ressort dans nos salles obscures ce mercredi 31 mai dans une version 4K entièrement restaurée susceptible de magnifier l’imagerie DV de laquelle David Lynch s’est épris voilà près de dix-sept ans : occasion rêvée pour les cinéphiles vierges ou non dudit métrage de se plonger dans ce qui restera certainement la pièce la plus expérimentale de son Cinéma, maelström sciemment non-sensique se promenant de motif en motif, de sons en images et de Charybde en Scylla dans l’empire intérieur d’un Cinéaste unique. Définitivement.

170 minutes aux coeur desquelles David Lynch semble prendre un malin et délicieux plaisir à exécuter ses gammes contre vents et marées, livrant pléthore d’auto-références inhérentes à son Oeuvre. S’ouvrant dans les intérieurs atemporels et vaguement victoriens d’une résidence bourgeoise polonaise et d’une curieuse discussion rapprochant ou opposant la très freak Grace Zabriskie et la très cinégénique Laura Dern INLAND EMPIRE poursuit son fil narratif dans les méandres tout à fait introspectifs de son héroïne Nikki Grace (Laura Dern, de fait) fraîchement propulsée dans les arcanes d’un Hollywood tour à tour sur et sous exposé, movie star débarquant sur le tournage du remake d’un film inachevé laconiquement titré 47 : On High in Blue Tomorrows. Un film augurant une belle idée que l’on pourrait se faire du rêve américain, d’un Cinéma glam et chic serti de visions paradisiaques et de situations soap de rigueur…

Il n’en est pourtant rien de moins dans INLAND EMPIRE, ballade cauchemardesque des plus carabinées s’affichant comme le décalque imparfait et diablement grotesque du somptueux Mulholland Drive tourné six années plus tôt ; David Lynch recycle brillamment le dispositif tortueux d’une mise en abyme de laquelle il est pratiquement impossible de distinguer le réel du fantasme et le tournage de la fiction, troquant toutefois les ravissements photographiques de Peter Deming (directeur de la photographie sur Mulholland Drive mais aussi Lost Highway, ndlr) pour une plastique criarde voire agressive ménageant peu ses spectateurs. Portrait prégnant d’une Laura Nikki Dern à la dérive ledit film s’évertue – et de manière souvent exemplaire – à démythifier les figures du Cinéma de Lynch pour mieux livrer un trip filmique proche du glissement un tantinet paranoïaque et délibérément absurde : ainsi Justin Theroux (le réalisateur dandy et simple exécutant des tournages de film de Mulholland Drive, ndlr) devient là un acteur névrotique complètement guindé, Harry Dean Stanton fait figure de vague consultant après avoir tenu le rôle principal du magnifique Une Histoire Vraie et Lynch balance presque comiquement moult références à sa filmographie comme d’étranges pieds-de-nez à la face de son audience, allant jusqu’à citer abondamment son curieux Rabbits, moyen métrage télévisuel en forme de sitcom dérangé et dérangeant…

INLAND EMPIRE pourrait n’être finalement qu’un long, qu’un immense mauvais rêve éprouvé par la figure de Nikki Grace se dépersonnalisant par-delà les rues sordides d’un Los Angeles gangréné par le stupre et la prostitution. Perdu entre la munificence d’une Pologne intime et musicalement représentée par les nappes envahissantes du compositeur néo-classique Krzysztof Penderecki (les visions d’horreur du Shining de Stanley Kubrick semblent ici se tenir au prochain coin de rue, dans une terreur presque étourdissante…) et la déliquescence d’une Americana loin des beautés manucurées d’un Blue Velvet ou même d’un Twin Peaks : Fire Walk With Me INLAND EMPIRE est une plongée notoire et immersive dans les tréfonds d’une âme en proie aux délires les plus retentissants, extraordinaire expérience à voir ou à revoir en salles dès ce mercredi. À ne manquer sous aucune condition.

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