HPI : Sherlock Holmes à la française

Être ou ne pas être HPI, telle est la grande mode des réseaux sociaux. Et avec elle, son lot de bêtises qui continue de propager des erreurs que tout le monde tient pour acquis. Une nouvelle manière de banaliser le sens de l’observation de nos enquêteurs préférés tels Sherlock ou Hercule. Le whodunit n’est alors plus cette enquête à laquelle le spectateur lambda peut se perdre dans des théories aussi fumeuses que fantaisistes. L’enquêteur n’est plus une entité possiblement quelconque, il obtient d’office un statut intellectuel supérieur. Le fantasme de l’enquêteur devient une simple histoire de QI et de banalisation de l’autisme. Quel devient l’intérêt pour le spectateur de suivre une enquête s’il n’a scénaristiquement pas les compétences intellectuelles pour le faire ?

HPI, qui signifie Haut Potentiel Intellectuel, est une série française créée et scénarisée par Stéphane Carrié, Alice Chegaray-Breugnot et Nicolas Jean. Elle raconte l’histoire d’une femme de ménage des bureaux de la police, Morgane Alvaro, déclarée HPI et qui, au cours d’une de ses soirées de travail, met en exergue une coquille dans l’enquête en cours. Mère célibataire de trois enfants, elle perd rapidement son statut de femme de ménage pour devenir consultante au sein de la police judiciaire de Lille. Les deux premières saisons sont actuellement disponibles sur Disney+ et la troisième saison est en cours de diffusion sur TF1.

C’est la talentueuse et flamboyante Audrey Fleurot qui endosse le rôle de cette mère de famille au haut potentiel intellectuel. Et qui de mieux que la dame du lac de Kaamelott pour faire vivre une série de cette ampleur en France ? En réalité, le mythe de l’enquêteur incroyablement intelligent qui résout toutes les enquêtes à une vitesse hallucinante a toujours fasciné beaucoup de mondes. Il suffit de voir à quel point les séries policières et d’enquêtes, ainsi que les films aux thématiques similaires, sont légion et très populaires pour se rendre compte à quel point elles créent et alimentent un imaginaire collectif. Si bien qu’il devient de plus en plus difficile d’y voir de l’originalité et, par expansion, d’y trouver un intérêt supplémentaire aux centaines d’autres qui inondent déjà nos réseaux hertziens. Il est nécessaire de perpétuellement trouver des astuces et des parades pour apporter un petit quelque-chose en plus qui donne le sentiment de voir une histoire différente.

Ici, il s’agit certainement de la mise en avant de la vie de famille de l’héroïne qui permet d’offrir un nouveau visage au genre. Dans le même temps qu’on la présente comme supérieurement intelligente, elle nous apparaît également comme démunie. Démunie financièrement, relationnellement, socialement et caractériellement. Financièrement, car on s’aperçoit vite qu’elle ne roule pas sur l’or et qu’elle est endettée. Relationnellement, parce que son père nous apparaît tardivement, qu’elle ne peut pas s’entendre avec sa mère, qu’on ne sait pas pourquoi son copain a disparu soudainement et que son meilleur ami est un vieux voisin bien aimable. Socialement, puisqu’elle est simple femme de ménage et n’aime guère le contact avec la police. Et enfin caractériellement dans la mesure où elle a une énorme propension à l’insoumission et la condescendance. Elle est conscientes de son HPI, n’en joue pas, mais telle une maladie d’autisme, cela la pénalise concernant ses relations avec son entourage. Tout comme pour d’autres enquêteurs bien plus connus finalement.

Sa vie privée alternative n’est évidemment pas le seul élément qui diffère des autres histoires du même genre. Tout d’abord, notons que les saisons ne font que huit épisodes, ce qui permet de ne pas s’ennuyer malgré un schéma classique qui se répète relativement vite. L’intérêt dans les productions de ce genre relève surtout de l’intrigue de fond qui implique souvent le personnage principal. Comme on souhaite ici développer les personnages et leur quotidien, cette intrigue sous-jacente évolue à la fois rapidement sans occuper une place trop importante durant chaque épisode. Cela permet de laisser l’histoire évoluer à son rythme tout en donnant une structure précise à la majorité des épisodes.

Malgré tout cela, ce qui fait le charme de la série est une très bonne analyse des codes actuels et une bonne adaptation de ce qui a déjà été produit par le passé. La mise en scène est clairement le point fort et l’un des éléments centraux de cette série. La manière dont les explications sont présentées, par exemple, offrent une lecture à la fois jouissive et limpide de l’enquête. Le tout premier épisode donne vite le ton du genre de la série pour alpaguer immédiatement le spectateur et mettre à l’épreuve sa réceptivité. Outre un jeu d’acteur épatant concernant chaque personnage, démontrant au passage une direction d’acteur parfaite, il y a une réelle clairvoyance narrative qui permet de rendre toute l’histoire parfaitement fluide, de l’enquête aux petits tracas quotidiens. HPI emprunte d’ailleurs beaucoup à une autre série française très intéressante, il s’agit de OVNI(s). L’imagerie, la réalisation, l’humour à la fois simple et décalé, le jeu d’acteur évoluant presque dans une atmosphère indépendante sont tant d’éléments communs qui font de ses séries des pépites du paysage audiovisuel français.

On peut dire que les créateurs ont eu le nez fin en castant l’une des actrices françaises les plus en vogue du moment. Audrey Fleurot insuffle une véritable personnalité à la série entière avec le contraste de son exubérance sur la morosité du milieu judiciaire. Son personnage modifie en profondeur et sur la longueur le caractère de tous ceux qui gravitent autour d’elle. Le domaine judiciaire ainsi que le fait d’être HPI sont largement pris au sérieux avec cependant une écriture un brin condescendante. Bien que l’écriture démontre d’une véritable prise de connaissance des syndromes et de l’environnement par les scénaristes. Malgré tout, on a parfois l’impression qu’être HPI se résume singulièrement à être super intelligente sans forcément que cela entraîne d’autres explications ou problématiques. En réalité, être HPI implique beaucoup de choses spécifiques qui n’ont effectivement pas leur place dans une série, mais qui, si elles restent trop peu approfondies, donnent un sentiment d’imperfection ou de faiblesse narrative.

Au global, l’écriture est assez intelligente. Il faut savoir où on va lorsqu’on écrit des enquêtes, ce qui n’est pas forcément chose aisée. Cependant, les épisodes sont assez bien étudiés pour rendre le scénario attractif et mystérieux. Comme dans toutes les séries policières, il faut une intrigue en toile de fond sur laquelle les protagonistes avancent et en apprennent au compte-goutte durant toute la narration de la série. Un bon moyen d’accrocher le spectateur et de lui faire accepter la diffusion progressive des épisodes. D’un côté, l’enquête en toile de fond de HPI est plutôt bien amenée, relativement mystérieuse sans pour autant être trop grandiloquente, respectant parfaitement la suspension d’incrédulité consentie du spectateur. Tous les protagonistes ont des rôles mesurés et le mystère reste fortement probable. Seul bémol néanmoins, en reprenant la série par son commencement, avec une enquêtrice aussi intelligente, observatrice, curieuse et insubordonnée, et avec accès à tous les documents de la police en prime, on se demande quand même comment elle a pu rester à ce point dans le flou concernant la disparition de son petit copain depuis 15 ans. Elle n’a tout simplement aucune piste et aucune idée de ce qui a pu lui arriver, mais finalement, à la vitesse à laquelle elle résout toutes les énigmes, on se demande tout de même comment elle a pu enquêter sur cet incident avec autant de nonchalance pour qu’elle n’ai aucune idée de ce qui a pu lui arriver encore 15 ans après. La saison 3 apportera, on l’espère, quelques éclaircissements sur les éventuels écarts que le scénario a pu se permettre pour faire avaler la pilule de la disparition. En attendant, même si tous les rebondissements nous apparaissent comme plausibles, ils n’évincent pas complètement notre suspicion quant à la cohérence finale de cette histoire.

En conclusion, il s’agit d’une superbe surprise du milieu télévisuel français qui parvient à relancer la machine éculée des séries policières avec un vent de fraîcheur que l’on désespérait de voir. Les vieux démons et vieilles recettes, qui ont certes permis à notre pays de produire d’excellentes productions, ont fini par s’affranchir de ces éternelles restrictions. Être HPI depuis quelque temps est presque devenu une sorte de mode. Tout le monde se met à faire des tests pour savoir si on est HPI ou non. D’autre part, les séries d’enquête policières sont légion et toutes ont leur petit truc en plus qui font leur succès. En France comme aux États-Unis, nous sommes friands de ce genre de séries alors pour sortir du lot, il faut bien se démarquer et trouver sa propre identité narrative et de mise en scène. Il faut bien admettre que l’écriture en question est plutôt ingénieuse et, tout en étant sérieuses, les scènes parviennent à être drôles malgré tout. L’équilibre est parfait et apporte ce vent de fraîcheur à la française qui permet d’accrocher étonnamment vite à la série.

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