Ti West : Portrait d’un amoureux du genre

La sortie en blu-ray et DVD de X chez Kinovista le 16 février dernier nous a donné envie de revenir sur la carrière de Ti West dont le réjouissant slasher sorti en salles l’année dernière, premier volet d’une trilogie, marque véritablement un tournant dans sa carrière. Nous avons en effet souligné dans notre critique de X au moment de sa sortie combien le film permettait enfin au cinéaste de prendre de l’ampleur et de se montrer à la hauteur des attentes placées en lui, attentes jusqu’à présent souvent déçues par des troisièmes actes généralement incapables de transcender des films trop sages, ayant du mal à aller au-delà des références auxquelles West se tenait avec beaucoup de déférence. C’est là tout le paradoxe de Ti West : son amour du cinéma d’horreur est sincère, l’application avec laquelle il met ses films en scène (sans esbroufe, sans jumps-scare) est admirable et témoigne d’une rare qualité dans le genre mais c’est ce même amour qui semblait le rendre incapable de transcender ses films, ses fins (en particulier The House of the Devil et The Innkeepers) peinant à se montrer à la hauteur des enjeux précédemment établis.

The House of the Devil

On peut certainement apprécier l’humilié du réalisateur, qui n’a clairement pas besoin d’en faire des caisses comme beaucoup de cinéastes dans le genre, semblant parfois agir pour être simplement qualifiés de ‘’nouveaux prodiges de l’horreur’’ par la critique. Mais il est vrai que pour des premières parties exemplaires, où les personnages sont aussi soignés que l’atmosphère, ses fins vont au mieux nous satisfaire par leur évidence trop vite devinée ou au pire nous faire hurler, en ayant l’impression qu’on s’est allégrement moqués de nous. Cela participe certes d’une démarche pop, jouant avec les clichés pour mieux les retourner contre nous (son western aride, In a valley of violence est à ce titre assez exemplaire et plutôt réussi avec ses fusillades perpétrées par des guignols ne sachant pas viser) mais il faut allier à cela beaucoup de malice pour transformer le public en complice. Autrement, celui-ci aura eu l’impression d’être le dindon de la farce. Et même quand un film comme The Sacrament tient ses promesses (on vous conseille d’ailleurs ce found-footage assez malin et glaçant), il n’y a jamais la catharsis tant attendue et espérée dans un genre aussi balisé que le cinéma d’horreur.

C’est là que X se montre à ce jour la plus grande réussite de Ti West. Il embrasse tous les codes du registre avec lequel il joue (le slasher cradingue et malsain des années 70 sous la grosse influence de Tobe Hooper), tient ses promesses (les morts sont violentes, l’ensemble est malsain et transgressif, le final décharge sa violence de façon réjouissante) mais subvertit avec beaucoup de malice le slasher. Ses personnages destinés à la mort sont écrits avec soin, loin des stéréotypes auxquels on les croit cantonnés à première vue quand l’antagoniste est dotée d’une motivation humaine lui donnant des aspects faillibles et un côté pathétique aussi glaçant qu’attachant.

X

C’est une des raisons pour laquelle X est aussi formidable : son antagoniste n’est pas qu’une simple machine à tuer, c’est un être humain avec ses pulsions, ses rêves et ses espoirs déçus. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le second volet de la trilogie entamée avec X, intitulé Pearl n’est autre qu’un préquel sur la jeunesse de la vieille mamie tueuse et libidineuse de X. Un film comme note d’intention en disant long sur la volonté de Ti West de donner corps à un véritable personnage de chair et de sang et non un symbole, un simple boogeyman increvable aux motivations obscures.

Malheureusement pas encore sorti en salles chez nous, Pearl est déjà disponible en import en blu-ray et confirme le tournant opéré par Ti West (dont MaXXXine, le troisième opus est prévu cette année, se concentrant cette fois sur la suite des aventures de la seule survivante de X, incarnée par Mia Goth, également interprète du rôle de Pearl) puisqu’il s’agit d’un film tenant toutes ses promesses tout en concentrant ses références vers une période plus classique du cinéma américain. On pense en effet à Victor Fleming et Douglas Sirk dans ce portrait de jeune femme se déroulant en 1918, dans la même ferme où les héros de X seront massacrés un à un. Visiblement déjà perturbée, Pearl n’est pas aidée par l’absence d’un mari parti à la guerre, un père malade et une mère castratrice et cruelle. S’évadant de la réalité en allant au cinéma, rêvant d’une vie glamour qu’elle pense mériter, Pearl (brillamment interprétée par Mia Goth, également co-scénariste et au cœur de scènes à l’intensité particulièrement prenante, qu’elle se livre à un monologue de près de dix minutes ou qu’elle reste muette face caméra) se heurte cependant à la réalité, clairement pas à la hauteur de ses fantasmes.

Pearl

En dépeignant son héroïne comme une grande rêveuse inadaptée au monde, contrainte d’accorder ses actes à une réalité n’existant que dans sa tête, Ti West se montre aussi doué du côté que du mélodrame (dont il s’empare de la flamboyante palette de couleurs tant maîtrisée par les grands films que Sirk réalisa dans les années 50) que du film de genre dont il maîtrise évidemment les codes et dont la violence finit par inéluctablement exploser à mesure que Pearl réalise que ce monde n’est pas taillé pour elle. Un portrait vibrant et complexe, Ti West ayant visiblement beaucoup d’attachement pour son héroïne, meurtrière et déséquilibrée certes mais également rêveuse incomprise, femme profondément malheureuse, promise dès sa naissance à un destin qu’elle ne peut se résoudre à embrasser. Tour à tour pathétique, émouvante, terrifiante et glaçante, Pearl (le personnage comme le film d’ailleurs) vient donner à X un autre angle de visionnage, encore plus tragique et ce malgré l’horreur inexcusable de ses actes. Et que la personne qui n’a jamais eu d’espoirs déçus lui jette la première pierre…

Autant dire que c’est de pied ferme que nous attendons donc MaXXXine que l’on espère avoir la chance de découvrir au cinéma en France au lieu de nous contenter d’un simple import comme nous l’avons fait avec Pearl (certes moins facilement vendeur et plus risqué à sortir en salles) d’autant que cette suite de X et dernier volet de la trilogie est dotée d’un joli casting où Lily Collins, Kevin Bacon, Elizabeth Debicki, Michelle Monaghan, Giancarlo Esposito et Bobby Cannavale côtoieront Mia Goth. Du beau monde pour conclure la trilogie d’horreur la plus maline de ces dernières années ? On le souhaite de tout cœur tant c’est avec ces films que Ti West semble avoir enfin trouvé la voie, celle d’assembler ses références en affirmant sa personnalité dans des films cathartiques. On a hâte !

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*