Le Paradis : Rencontre avec le réalisateur Zeno Graton

A l’occasion de la sortie du film Le Paradis, le premier long métrage de Zeno Graton qui sort le mercredi 10 mai 2023, nous avons rencontré le réalisateur. Il revient sur la genèse du film et ses choix esthétiques.

Bonjour monsieur Graton. Votre film traite de l’éveil du désir à l’adolescence avec toute sa part de tendresse. Quelle a été votre approche pour illustrer ce thème ?

Je voulais d’abord faire un film romanesque, une histoire d’amour. Du coup, je voulais que les personnages puissent s’aimer comme ils le veulent et qu’on ne soit justement pas dans un film de coming out. Je pense que c’est très important politiquement de donner à voir des personnages qui s’assument, qui s’aiment et qui s’aiment eux-mêmes. C’est vraiment ce qui a prévalu en donnant à voir ce type de représentation : la jeunesse va pouvoir s’identifier de manière désirable à toutes les formes d’amour possibles. J’ai été beaucoup exposé à des films, en étant adolescent, qui racontaient l’amour entre deux garçons de manière difficile avec un arc narratif axé sur la souffrance, pour se terminer si tout se passe bien avec un personnage qui a perdu tous ses amis et qui a dû s’exiler. La réalité est différente aujourd’hui : la jeunesse contemporaine s’affirme et ose davantage et la question de l’orientation n’en est plus une.

Votre métrage entre également dans le genre du film de prison. Mais, de manière originale et bienvenue, vous en détournez les codes. L’évasion, par exemple, est bien plus celle de l’âme que celle du corps. La violence cède devant la tendresse.

J’ai vu Scum d’Alan Clarke. C’était important pour moi de tourner dans un centre de détention pour mineurs qui met en scène des garçons et m’a donné l’opportunité de questionner les codes de la masculinité. Il s’agissait de donner à voir des garçons être garçon autrement, des garçons qui étaient capables de solidarité, qui étaient capables de tendresse, qui étaient capables de se soutenir et de créer une force révolutionnaire contre l’institution. Quand on met des garçons entre eux , souvent l’unique conflit, c’est la question du pouvoir et la question des dynamiques de groupe, de qui va être le chef, de qui va être le bully et j’avais vraiment envie de faire un pas de côté par rapport à ces représentations. L’alternative, c’était un conte, une histoire d’amour, avec cette tendresse rayonnant sur le groupe et les influençant. J’ai été en immersion là-bas plusieurs fois pour aller voir ce qui s’y passait concrètement, vraiment comprendre les mécanismes, effectuer une espèce de suivi. Ce que j’ai observé, c’est que les éducateurs se donnent à 100% et sont très bienveillants : en fait, on était loin des clichés des matons violents qui veulent le mal des détenus et c’était important pour moi d’être honnête par rapport à ce que j’avais vu. Les conflits sont liés au système, c’est-à-dire aux écoles qui discriminent les jeunes parce qu’elles ne vont pas pouvoir les réinsérer, aux parents qui viennent de moins en moins les voir. De fait, les éducateurs se retrouvent dans des conflits de loyauté, à devoir être les remplaçants des parents. Ils sont très courageux.

Votre choix est vraiment de montrer un groupe où règne la tendresse envers et contre tout. En ce qui concerne la découverte de l’homosexualité, on est même surpris que ça se passe aussi bien.

Le cinéma, pour moi, a aussi le rôle de diffuseur de conscience, de donner à voir des choses qui vont pouvoir influencer les gens. On peut mettre en scène des faits relativement utopiques par rapport au monde dans lequel on vit, pour permettre à des gens de s’identifier. J’avais envie de normaliser la tolérance ; ce qui est problématique, c’est de normaliser l’intolérance, de donner à voir, parfois de manière pornographique, des violences contre les minorités, qu’elles soient racistes où homophobes. Pour moi, il y a un projet politique général de garder les queers dans une position d’oppression parce que ça sert le capital. L’homophobie, on la retrouve aussi bien dans les classes bourgeoises blanches : il y a une homophobie ordinaire qui est perpétuée par un état néolibéral. Ma manière de traiter le sujet, c’était peut-être de surprendre les spectateurs par cette douceur. Ma démarche rejoint celle du film d’Alice Diop Vers la tendresse, avec des personnages solaires, vivants, fiers…

En ce qui concerne la mise en scène, il y a beaucoup de symbolisme. L’influence de Jean Genet est claire, notamment du film Un chant d’amour. On retrouve cette dialectique entre enfermement et échappée, avec l’importance des textes et de la musique. Votre film questionne la notion de liberté.

Au début du film, on est face à un personnage qui va sortir, qui va avoir un petit appartement, qui va être libre, mais il n’y a personne dehors, personne qui va pouvoir l’aimer et qu’il va pouvoir aimer en retour. L’arrivée de William va vraiment agir comme une porte sur un chemin qui va le mener vers la liberté, un chemin qui va lui permettre de comprendre qu’il faut désamorcer la croyance au programme de l’institution et qu’il va falloir se créer ses propres règles. Le désir est vraiment très entrelacé avec la notion de liberté, avec la notion de résistance. Il y avait ce projet de de faire un film lyrique, où tout de suite avec la photo on code les choses, un film romanesque. Tous les espaces symboliques du film sont là aussi pour créer une atmosphère poétique plus que documentaire. Il y a un processus d’humanisation de ces jeunes à travers leur représentation : j’avais vraiment envie de les montrer comme des jeunes capables de danser, d’écrire, de faire de la poésie, de dessiner…C’était très important qu’ils aient des talents et qu’ils ne soient pas caractérisés uniquement par rapport aux faits qu’ils ont commis.

Finalement, c’est un trop court moment. On aurait aimé passer plus de temps avec ces jeunes et leur encadrement. Beaucoup de scènes mettent en évidence cette douce symbiose qui immerge le spectateur. Ainsi, la voix off passe d’un amant à l’autre.

Cette voix est inspirée d’un passage de L’Attrape-cœurs de Salinger quand il parle des canards de Central Park et du lac gelé. La voix off qui revient, c’est une idée de montage : ça nous a permis en fait de les lier d’une façon intéressante, de voir qu’ils s’étaient raconté, qu’ils s’étaient livré des secrets et aussi que l’amour pour vivre était tellement fort qu’il revêtait un aspect fusionnel. J’avais vraiment envie de montrer des personnages vraiment capables de tendresse, parce que c’est une nécessité politique. Julien m’a beaucoup surpris pendant le tournage, en me disant que finalement William était le personnage le plus fragile. On l’a vraiment investi ensemble. Je trouve que c’est ça qui est magnifique avec ce métier : tout le monde a sa part créative et je dois juste faire confiance aux talents de tous les postes et de tous les acteurs.

Merci Zeno Graton !

Merci à vous.

Propos recueillis par Nicolas Levacher le 2 mai 2023 au Bureau de Florence Narozny, Paris 8ème arrondissement. Un grand merci à Mathis Elion d’avoir pu permettre la réalisation de cet entretien.

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