Soeurs de Sang : Fenêtre sur meurtre

Au début des années 1970, Brian De Palma est désabusé par le système hollywoodien. Peinant à trouver des distributeurs qui daignent lui faire confiance, privé de tout contrôle sur ses œuvres, il quitte Hollywood juste après l’échec de Get To Know Your Rabbit. Il retourne à New York et s’attelle à l’écriture d’un scénario très personnel autour de sœurs siamoises et de meurtres violents. Il reste presque trois ans au chômage. Sa rencontre avec le producteur Edward R. Pressman va lui permettre de réaliser ce scénario dans lequel il va mettre à contribution toutes ses expérimentations précédentes afin de trouver une ébauche de ce qui deviendra sa signature. Brian De Palma est de ces réalisateurs dont les films sont identifiables entre mille. Entre les multiples hommages à Hitchcock, l’art de jouer avec le split-screen et une approche frontale de la violence souvent mêlée à une tension sexuelle, le style de De Palma est fascinant d’un point de vue analytique. De nombreux théoriciens et spécialistes se sont penchés sur le sujet bien avant nous, et nous n’avons pas autant de bouteille, ni la prétention d’affirmer être des spécialistes du réalisateur. Cependant, découvrir un De Palma que nous n’avions pas encore vu relève toujours de l’évènement et nous tenions à vous partager notre ressenti sur le célèbre Sœurs de Sang qui vient tout juste d’intégrer le catalogue Shadowz.

Un soir, Danielle Breton ramène un homme chez elle. Au matin, l’homme est poignardé alors qu’une journaliste, Grace Collier, assiste au meurtre depuis sa fenêtre de l’appartement d’en face. Grace prévient la police, mais aucun cadavre n’est découvert. Convaincue de ce qu’elle a vu, elle décide de mener l’enquête en ignorant que Danielle a, en réalité, une sœur jumelle, Dominique.

Contrairement à la croyance populaire, Sœurs de Sang n’est pas le premier long métrage de Brian De Palma. Il s’agit de son premier succès grand public tout simplement. Avec ce projet, le réalisateur confirme son appétence pour le genre policier (plus que le film d’horreur, genre auquel on a trop eu tendance à l’assimiler sans comprendre qu’il est un maître du thriller avant tout), un genre dont il démontre connaître tous les tenants et aboutissants. S’il convoque des séquences horrifiques, ce n’est que pour servir son propos et parvenir à entourlouper le regard du spectateur. Avec Sœurs de Sang, il manipule les exactions de son public, il bouleverse le confort du spectateur et relance perpétuellement les enjeux. S’il prend son temps pour installer son cadre (le meurtre survient après une bonne demi-heure de film), il n’en oublie pas de glisser une multitude d’indices afin de nous alerter qu’il se prépare à nous triturer les méninges. Dès son introduction au cœur d’un jeu télévisé intitulé Peeping Tom (salut Michael Powell !), il vient titiller notre regard de voyeur si bien qu’on ne se rend pas compte combien il est en train de nous berner. S’il est évident que notre attention se focalise sur l’action qui se joue dans le vestiaire dans lequel une femme non-voyante est en train de se déshabiller devant un homme sans qu’elle ne remarque sa présence, De Palma se concentre sur ce qui est en train de se jouer dans le public. Trop aveuglés par nos sens érotico-pervers, nous remarquons à peine la présence quasiment fantomatique de l’homme mystérieux campé par William Finley. Tantôt présent, tantôt absent. Ce siège vide est-il réel ou est-ce l’homme qui n’est pas réel ? L’introduction du film nous plonge d’emblée dans ce qu’il mettra au cœur de son enquête : la réalité est-elle vraiment celle que l’on croit ? Le spectateur qui découvre le film pour la première fois voudra rester terre à terre et se rangera indéniablement du côté de Grace, persuadée qu’il y a bien eu un meurtre qui s’est joué sous ses yeux. Mais est-ce vraiment ce que veut raconter De Palma ?

Sœurs de Sang déroute et laisse clairement pantois lorsqu’il se clôture. Comme beaucoup de films de son auteur, il faudra lui accorder d’autres visionnages afin d’en extraire toute sa substantifique moelle. Pourtant loin d’être un De Palma incontournable pour un public populaire (à l’instar des plus (re)connus comme Carrie, Scarface, L’impasse ou encore Les Incorruptibles), Sœurs de Sang est essentiel pour quiconque veut décortiquer les ambitions de son réalisateur. Il est à ranger aux côtés des fascinants Pulsions et Body Double (film que l’on considère souvent comme l’apothéose de son approche hitchcockienne). Ces trois films synthétisent parfaitement le regard que possède De Palma sur l’amour qu’il porte à Alfred Hitchcock. Le réalisateur maîtrise prodigieusement le sujet et démontre qu’il a très bien compris ce que son maître expérimentait sans cesse : l’important se trouve dans le cheminement du récit, pas dans sa chute. De fait, toute l’enquête qu’il superpose au point de vue de Grace est-elle fondée ou n’est-ce qu’un tour de passe-passe qui nous ramène indéniablement vers son épilogue cauchemardesque ? De Palma dit s’être inspiré la de la scène de cauchemar de Rosemary’s Baby (lorsque Mia Farrow est entourée de personnes nues) afin de monter son épilogue. L’essence même des sensations que procure un cauchemar transparaît à la fin du film. De Palma crée l’inconfort, il immerge le spectateur dans une boucle infernale où s’entremêlent des personnages monstrueux avec des figures du quotidien de l’héroïne (sa mère, le détective privé avec qui elle a travaillé…). S’il paraît évident que De Palma parle de gémellité associée à des troubles schizophrène, il n’offre pas de réponse concrète en fin d’expérience. Bien au contraire, De Palma souhaite que nous retournions à la mise en abyme qu’il concède en début de métrage par un dernier plan qui se superpose parfaitement avec l’ouverture du film afin que nous puissions y trouver un semblant de réponse, si tant est qu’il y en ait vraiment une.

Sœurs de Sang est un film fascinant tant par la complexité des sujets qu’il développe que par la prouesse technique déployée par De Palma. On lui préférera Pulsions et Body Double, plus abrupts dans leur manière de traiter à la fois le thème de la schizophrénie et les faux-semblants. Seulement, Sœurs de Sang n’a pas à rougir de sa situation d’outsider tant De Palma y maîtrise déjà parfaitement tous les subterfuges qui feront de lui un auteur sacrément doué. Avec Sœurs de Sang, Brian De Palma consolide tous les essais expérimentaux qu’il a réalisé jusqu’alors et s’offre une entrée remarquée et remarquable dans la cour des grands.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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