Sakra, la légende des demi-dieux : La voie des paumes du dragon

Votre adversaire vous a délibérément provoqué… mais votre corps est une arme : d’abord, un coup de poing du tigre fulgurant, qui enchaîne sur un middle-kick de la cigogne agile pour achever l’adversaire avec la technique de la phalange tortueuse de la vipère sournoise. Beaucoup d’entre nous ont déjà rêvé, ou rêvent encore, de maîtriser toutes les techniques de kung-fu et d’être dignes des secrets les mieux gardés de Shaolin.

Les films d’arts martiaux représentent une immense vague de la culture du cinéma asiatique, qui s’est déversée sur l’Occident et s’est ensuite mêlée à la tradition des blockbusters Hollywoodiens. Les films de kung-fu apparaissent à Hong-Kong à la fin des années 1960, et deux sous-genres vont vite se distinguer. Il y a tout d’abord le wu xia pian, le film de chevalerie, qui met en scène des récits épiques en costumes issus de légendes traditionnelles ou d’épisodes historiques de la culture chinoise. La spécificité du wu xia pian sont ses combats d’arts martiaux menés à l’épée, tandis que son petit frère, le kung fu pian, apparu quelques années plus tard, met en scène des combattants à mains nues et raconte des récits contemporains avec notamment comme figure de proue, le légendaire Bruce Lee. Mais aujourd’hui c’est bien un wu xia pian qui nous intéresse, Sakra, la légende des demi-dieux, le nouveau film réalisé par l’acteur Donnie Yen, qui interprète également le personnage principal et co-réalisé par Kam Ka-Wai.

Sakra est adapté du roman Demi-Gods and Semi-Devils écrit par Jin Yong. Dans la Chine du Xème siècle, deux clans se livrent une guerre sanglante depuis des générations : les Song et les Khitan. Le puissant guerrier Qiao Feng (Donnie Yen), chef respecté du Gang des Mendiants, au service des Song, est accusé à tort d’avoir assassiné son maître et ses parents. Banni par son clan, il se lance alors dans une quête épique pour laver son nom et son honneur, mais aussi pour découvrir ses véritables origines. Sakra porte dès les premières minutes tout son héritage cinématographique depuis les premiers films de la Shaw Brothers (principal studio Hongkongais entre les années 60 et 80) : un héros solitaire à l’honneur bafoué coincé dans une quête de vengeance personnelle, d’identité et teintée de patriotisme. Condamné à l’errance, Qiao Feng sera confronté à une galerie de personnages et surtout d’adversaires tous plus redoutables les uns que les autres. Le principe même du héros de wu xia pian est un peu celui que l’on retrouve dans une partie des westerns : un personnage solitaire, sombre et fermé mais qui au fil des épreuves, demeure fidèle à ses principes de droiture. Sa quête de justice rend légitime les os brisés et le sang versé sur son chemin. Ce prétexte est idéal pour permettre le principal atout que l’on recherche lorsque l’on réalise un film d’arts martiaux : la bagarre.

Donnie Yen s’est lancé un vrai défi en souhaitant mettre en scène un nouveau wu xia pian, un sous-genre que l’on voit beaucoup moins sur nos écrans depuis les années 2000. Avec des classiques comme Un seul bras les tua tous (Chang Cheh, 1967), La 36e chambre de Shaolin (Lau Kar-leung, 1978) ou encore la nouvelle génération de films d’époques au tournant des années 2000 comme Tigre et Dragon (Ang Lee, 2000) ou Hero (2002, Zhang Yimou), le film d’épée est devenu un spectacle très codifié qu’il semble ardu de renouveler. Soyons francs, Donnie Yen réalise un wu xia pian dans la plus pure tradition. Les fans du genre seront, ou bien ravis par un respect aussi strict des conventions, ou bien déçus, s’attendant à un renouvellement du genre. Néanmoins, le film ne ment jamais sur la marchandise et reste authentique, assumant pleinement son ancrage dans la tradition, parfois même avec une pointe d’humour. On se surprend à sourire à certains dialogues qui sonnent parfois un peu comme une telenovela, le but du film n’étant certainement pas la profondeur des personnages. Rien de surprenant puisqu’il s’agit d’un récit fondé sur des contes et des légendes issues du folklore. Sa nature de fable appelle naturellement l’écriture de personnages volontairement archétypaux : le chevalier errant, la jeune femme en détresse, le vieux sage, la manipulatrice et le grand méchant qui fronce les sourcils parce qu’il est très méchant. Bien loin d’une révolution woke, le film correspond à des schémas médiévaux chinois traditionnels, un « conservatisme »  qui pourrait être mal reçu par un certain public, et on pourrait le comprendre.

Mais rappelons-le, Sakra n’est pas un film social militant, c’est un film d’arts martiaux. Même si ce genre est né des idéaux révolutionnaires des années 60 à Hong-Kong, le film de Donnie Yen souhaite avant tout rendre un bel hommage à des films qui ont favorisé l’export du cinéma chinois, et plus largement asiatique, à l’international. Le film est un spectacle jouissif et très bien orchestré. Donnie Yen est en pleine forme, nous faisant oublier ses 59 ans. Les scènes de combats sont bien réparties, suivant un équilibre n’allant jamais jusqu’à la saturation mais remplissant néanmoins la majeure partie du film, pour un divertissement optimal. Sakra doit être vu avec des yeux d’enfants prenant la pose devant le miroir et poussant un petit cri aigu à chaque coup de poing envoyé dans le vide. En sortant de la salle, nous avons envie de maîtriser les Dix-Huit Paumes du Dragon Subjugué (vraie technique citée dans le film) et d’être capable de sauter légèrement à quatre mètres du sol sans effort.

On aurait d’autant plus apprécié le film si Donnie Yen était sorti des sentiers battus et avait tenté autre chose, le cinéma restant avant tout un magnifique terrain d’expérimentation. Mais parfois, la tradition a du bon. Le réalisateur-acteur-chorégraphe arrive à nous surprendre par ses retournements de situation et donc à maintenir notre attention d’une scène de combat à l’autre. Sakra nous rappelle que le langage de l’acier est universel et que quiconque a faim de justice peut avoir l’étoffe d’un héros. Alors le prochain qui vous embête à la cantine ou au bureau, n’essayez pas de le raisonner. Appliquez plutôt la méthode Qiao Feng et faites-lui une démo des Dix-Huit Paumes du Dragon Subjugué.

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