Les miens : Choc familial

La famille, c’est sacré. C’est une partie de soi, que l’on peut décider de mettre de côté, ou bien d’accepter pour le meilleur et pour le pire. C’est se ressourcer auprès des siens lors de périodes de tempête personnelle, oublier les problèmes autour d’une tablée joyeuse et cacophonique. Et pourtant, cela semble être un doux son à nos oreilles. C’est ce que nous retranscrit le grand Roschdy Zem sur grand écran, décidant cette fois-ci de se mettre à nu afin de donner sa vision de la famille ainsi que son vécu à travers Les Miens. Nous revenons sur cette œuvre, forte de son succès tant dans les salles obscures qu’à la Mostra de Venise en 2022 et désormais disponible en vidéo.

Les Miens, c’est la retranscription de l’expérience du petit frère du réalisateur – et dans ce long métrage personnel et dramatique, l’histoire de Moussa. Il est entouré de toute sa famille. Mais il est débordé, au bord du gouffre. Sa femme le quitte et le ghoste par la même occasion depuis déjà quelques mois, et l’homme épuisé et docile qu’est Moussa est en burn out – bien qu’il ne se rende lui-même pas compte de son état. Un soir après d’innombrables heures de travail, il décide de se laisser aller au gré de la musique d’une boite de nuit avec une collègue. C’est la totale : alcool, fumette, et voilà que l’homme au cœur tendre qui était déjà au bord du gouffre entame sa chute vertigineuse. Moussa s’écrase au sol. Verdict : commotion cérébrale. C’est un homme changé, et pour le pire. Il ne retient plus aucune parole. S’enchaine un délitement familial.

Il faut l’avouer, on n’espérait pas tant d’un énième drame familial français dans lequel les personnages se déchirent pour mieux se retrouver, parfois de manière très artificielle afin de donner une happy end. En famille, les fins heureuses ne sont pas toujours au rendez-vous. Pourtant, il s’avère que l’on peut compter sur Roschdy Zem, qui relève brillamment le défi. L’auteur éclectique de Omar m’a tuer ou encore de Chocolat fait appel à Maiwenn pour co-écrire ce film. L’on retrouve d’ailleurs sa co-scénariste en tant qu’actrice à ses côtés, puisque le réalisateur est dans son œuvre Ryad, le frère désinvolte au sang chaud, auquel Moussa trouve toujours des excuses. Le long métrage s’avère être en réalité plutôt court (80 min), ce qui fait largement l’affaire, chaque séquence ayant largement sa place et son importance. C’est d’ailleurs le cas avec la séquence d’ouverture qui met en avant l’état d’esprit de Moussa, contrastant avec celle de fin qui illustre une unité familiale malgré la fin d’une ère pour notre personnage principal. L’on pense aussi à la séquence de retrouvailles au café entre Ryad et Emma, que l’on peut percevoir comme un clin d’œil aux bonnes vieilles séquences dans les cafés de Verneuil, qui se plaisait – tout comme Roschdy Zem – à filmer les choses de la vie .

Chapeau bas pour cette mise en scène des fragments de vie familiale, qui sont capturés au plus près des personnages, que ce soit dans leurs lieux de vie, ou bien en ce qui concerne la technique filmique. Tous sont présentés à travers des plans assez rapprochés (plan épaule le plus souvent), mais c’est surtout Moussa que l’on observe de plus près. Nous sommes observateurs d’entrecroisements de problématiques personnelles : chaque membre de la famille a son histoire, son lot de problèmes, et malgré les règlements de comptes multiples à table ou en réunion familiale, aucun personnage n’apparait détestable. Tous sont profondément humains, à leur manière. C’est bien le changement de comportement de Moussa qui souligne les failles de l’être humain, toujours sur le fil. Si Moussa est victime du choc, sa famille en est toute aussi victime.

Il y a aussi et bien évidemment cette mise en lumière sur le fameux duo Zem/Sami Bouajila tant devant que derrière la caméra. Le duo n’en est pas à sa première coopération, puisque le réalisateur qui avait présidé la Cérémonie des Césars récemment avait dirigé Bouajila dans Omar m’a tuer, immense succès. Il n’est donc pas possible de passer à côté des étincelles créées par ces deux acteurs, et amis devant la caméra : l’on décèle cette affection et tendresse sincères, représentées par la lumière du jour, qui remplace les nuits auparavant sombres au sein du bureau de Moussa. Ce dernier ne revit que lorsqu’il décide d’entendre à nouveau la musique, qui le guide dans cette séquence finale sur une danse de la libération. La caméra auparavant immobile prend, tout comme son sujet, son envol.

On peut tout de même reprocher à Roschdy Zem un certain égocentrisme, choisissant d’interpréter le personnage ayant le mieux réussi face à chaque membre de sa famille, déconnecté des problèmes des uns, et des autres. Paradoxalement, les répétitions de « tu ne fais pas attention à ce qui t’entoure » peuvent paraitre artificielles, comme une explication grosse comme une maison pour le spectateur, qui peut aisément deviner la position de Ryad, dépeint en présentateur d’émission de foot égocentrique, comme psychologiquement absent lors des repas de famille. Oui, on parle ici d’artificialité, puisque tout le reste semble totalement naturel : nous ne regardons pas un film, nous sommes un membre de la famille qui écoute les discussions, ou plutôt les disputes animant ladite sphère. Roschdy Zem et son équipe frappent d’autant plus fort, quand l’on prend conscience que son film à été tourné avec des moyens restreints : tourné avec deux caméras en un peu plus d’un mois, avec une partie non négligeable d’improvisation des acteurs.

C’est donc et surtout ce que l’on retiendra : une sincérité qui provient du vécu, mais une universalité dans ce que le réalisateur décide de proposer. Pas de fioritures, seulement une mise à nu d’une expérience qui en dévoile d’autres. Les Miens est un drame certes, mais résonne en nous comme un feel good movie. L’on se retrouve dans le Moussa de la séquence finale, qui renait après un second choc, celui du divorce acté, qui dans la séquence d’ouverture n’était pas même envisageable. Finalement, peut-être n’était-ce qu’une histoire de divorce ? C’est certainement plus un prétexte, à montrer l’évolution des relations au sein du cadre familial grâce à un tel traumatisme, en réponse à l’inexistence de la relation qui a poussé Moussa à un tel choc.

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