B.R.I. : Les jeunes flics ne dorment pas la nuit

Quelques mois après la sortie au cinéma de Kanun, Jérémie Guez est de retour sur nos petits écrans avec sa première série B.R.I. L’auteur d’action français le plus en vogue du moment nous faisait déjà l’honneur d’en parler lors de son entretien pour Close-Up. Dans une fiction francophone gangrénée par l’omniprésence du polar, nous suivons à nouveau une escouade de flics enquêtant sur plusieurs affaires criminels. La différence ? Ici, il s’agit de la Brigade de Recherche et d’Intervention, c’est-à-dire l’élite de la police française quand il s’agit de jouer les gros bras. Ces forces de l’ordre ne résolvent pas des crimes passionnels ou des délits, mais s’occupent du grand banditisme et de la lutte contre le terrorisme. Ce dernier sujet épineux ne sera pas le point central de cette saison puisqu’elle se concentrera sur les prémisses d’une guerre des gangs en plein Paris et les tentatives de notre escouade pour l’arrêter. Après avoir attendu des années que le cinéma populaire s’empare de telles histoires, c’est une nouvelle fois la télévision qui vient empocher la mise avec cette nouvelle série Canal+ et Cœurs Noirs sur Amazon Prime. La première scène du pilote enterre par une simple ligne de dialogue tout ce qu’essaye de faire Novembre en 1h50. B.R.I. reste néanmoins une œuvre de Jérémie Guez dont l’écriture ciselée habille toute cette saison entièrement réalisée par sa personne. Guez a trouvé le parfait équilibre entre le réalisme du terrain français, avec sa gestuelle et son parler, et la fictionnalisation des enjeux pour aboutir à un récit implacable, à la fois vrai et prenant. Pour l’accompagner dans sa tâche, le nouveau porte-étendard du polar français est accompagné d’Erwan Augoyard, déjà scénariste sur les dernières saisons d’Engrenages, inspiration évidente quoique non avouée de la série. Sommes-nous face à la nouvelle grande saga policière de Canal+ ou connaîtra-t-elle le même sort que les dernières créations originales annulées au bout d’une ou deux saisons ? C’est au public de trancher, mais espérons qu’il récompensera les qualités indéniables de cette première incursion sérielle dans les coulisses de l’antigang français.

Ophélie BAU (Vanessa), Waël SERSOUB (Julien)

La principale réussite de B.R.I. tient à son formidable casting autant chez les policiers que chez les voyous. Nous sommes face à une œuvre chorale où tous les personnages principaux ont une importance équivalente au sein de la série. Chacun vit un arc narratif travaillé sans jamais être laissé pour compte au sein de cette dynamique de groupe parfois impitoyable. Saïd (Sofian Khammes), ancien agent des renseignements envoyé en Syrie pour traquer les djihadistes français, doit succéder à Patrick (Bruno Todeschini), flic à l’ancienne bientôt à la retraite, comme chef de la meilleure escouade de la B.R.I. Dans cette escouade, on trouve Badri (Rabah Nait Oufella), habitant d’une cité qui doit cacher son travail auprès de ses proches et surtout de sa mère, Vanessa (Ophélie Bau), unique femme de la brigade qui doit gérer le fait d’avoir tué pour la première fois, Julien (Waël Sersoub), spécialiste du combat rapproché, doit lui apprendre à se diversifier en dégotant son premier indic et Socrate (Théo Christine), dernier venu des Stups qui mène une enquête en parallèle sur ses anciens patrons. Dès leur présentation, ces nouveaux visages emportent immédiatement notre sympathie. Les interprétations sont justes et incarnées, particulièrement Ophélie Bau, conquérante de nos cœurs grâce à son charisme espiègle, malgré le développement plus “léger” de son personnage. En face, la surprise vient de Vincent Elbaz. L’acteur surprend avec son jeu de gangster gitan qui mâche ses mots et hache la langue française avec un naturel remarquable. Peu d’acteurs français s’autorisent ce genre de rôle de composition et il faut reconnaître que, passé la première surprise, c’est un plaisir de tous les instants pour nos mirettes et nos esgourdes. On notera aussi la très belle prestation de Nina Meurisse (déjà convaincante dans Cœurs Noirs) en fille ambitieuse de ce mafieux tout-puissant. B.R.I., ce sont des grandes gueules, des belles gueules et des sales gueules à l’intérieur d’un énorme terrain de jeu nommé Paris, à la fois sublimé et enlaidi par ce monde souterrain.

Ophélie BAU (Vanessa)

La mise en scène de Jérémie Guez a de quoi déconcerter lorsqu’on n’est pas habitué à sa légèreté formelle. Sa caméra constamment à l’épaule, alliée à une lumière volontairement naturaliste, peut donner l’impression trompeuse que la série est cheap et manque d’envergure. Ce parti-pris a plutôt l’avantage de nous ancrer dans une réalité tangible, bien loin du polar américain souvent surstylisé. Il nous permet d’accepter la pauvreté visuelle des bâtiments qui peuplent la capitale et font notre quotidien, à l’exact opposé d’un Emily in Paris. On ne peut s’empêcher de penser à Michael Mann quand on voit la manière dont Guez filme les différents trajets en voiture, référence déjà appuyée dans ses différents films. Il y a, chez Guez, la même envie d’aller chercher une certaine vérité à travers des recherches approfondies, retranscrites par l’intermédiaire de détails à première vue anodins, mais qui donnent tout le sel de la série. On pense à la manière dont des tueurs vont se débarrasser d’une voiture à l’aide d’un extincteur ou comment des braqueurs vont méticuleusement jeter leurs mégots dans une bouteille pour éviter de laisser la moindre trace ADN derrière eux. La production a fait appel à l’un des consultants français les plus réputés du milieu pour former leurs acteurs et ça se sent dans la manière dont ils manient leurs armes avec dextérité. Ce même consultant a pu exercer ses talents sur les deux Balles Perdues et AKA, le dernier actioner Netflix avec Alban Lenoir. Les flingues, les bagnoles et les gros muscles ont de beaux jours devant eux en France.

Lorsqu’on connaît l’idéologie de l’empire Bolloré, on pourrait s’interroger sur la volonté derrière une telle série dans le climat actuel de contestation autour des violences policières. Notre escouade est en apparence toute blanche comparé aux Stups qui “font des trucs bizarres”. Sommes-nous face à un nouveau spot de recrutement insidieux pour la police française ? Certains aimeraient le penser. Néanmoins, lorsqu’on creuse un peu et qu’on sort de la dynamique dans laquelle le récit nous plonge, on découvre une autre facette de ces personnages. Que dire du vigilantisme dont fait preuve Socrate lorsqu’il enquête masqué comme un Batman décomplexé ? La série ne prend pas parti et laisse au spectateur le loisir de juger de telles pratiques. Peu cultivés, pas spécialement intelligents, impulsifs, violents, les policiers sont dépeints comme des candidats de télé-réalité à qui on aurait confié la sécurité du pays. Les policiers parlent le même jargon que leurs homologues criminels, brouillant toujours plus la frontière entre eux. Tous ces attributs les rendent d’autant plus humains qu’ils sont constamment seuls, sans aucune vie de famille, incompatible avec l’implication requise par le métier. Leur quotidien est rythmé par les entraînements physiques et la prise de masse. On peut le voir dans les très nombreuses scènes de musculation qui rythment les épisodes. Avant d’être des agents de terrain, ce sont avant tout des professionnels qui préparent minutieusement leurs coups à base de filatures et de mises sur écoute.

Sami OUTALBALI (Rayan), Waël SERSOUB (Julien)

Il est encore une fois intéressant d’observer les sorties proches de deux séries comme Cœurs Noirs et B.R.I. tant elles partagent des qualités et des défauts similaires. L’une comme l’autre ont été conçues comme des films de 8h et cela se ressent. Elles n’ont pas la qualité d’écriture des séries américaines du même genre où chaque épisode développe sa propre thématique avec une puissance qui le rend presque regardable indépendamment du reste. On a quand même le droit à quelques cliffhangers bien sentis dans B.R.I. mais ils n’ont pas assez d’envergure dans le récit pour lui permettre de dépasser son statut de petite série française. La dernière partie de la série, pas avare en révélations et retournements, n’offre pas assez d’ouvertures pour véritablement donner envie d’enchaîner sur une seconde saison. Un des antagonistes est finalement arrêté, mais nous n’avons pas passé assez de temps avec lui pour ressentir un véritable sentiment de victoire en découler. Le garder pour une saison supplémentaire et relancer de nouveaux enjeux auraient pu être une possibilité pour se débarrasser de ce sentiment de finitude. Certaines relations changeantes entre des membres du groupe peuvent parfois manquer de clarté. La commissaire, incarnée par une Emmanuelle Devos pince-sans-rire assez savoureuse, a un peu trop tendance à faire la girouette entre les clans au sein de la brigade pour qu’on comprenne ses motivations profondes. Heureusement, ces brouilles sont aussi l’occasion de lâcher quelques punchlines ou charriages tout à fait sympathiques.

Emmanuelle DEVOS (FERRACCI)

B.R.I. est définitivement une série d’auteur dans le sens le plus complet du terme. La télévision française manque toujours cruellement de ce genre de voix, elle qui broyait ses créateurs sous le poids de leurs diktats il y a encore peu de temps. Loin d’être parfaite, un peu légère en termes d’ambition et d’originalité, la série de Jérémie Guez ne manque pas d’envie. L’envie de repousser toujours plus loin les barrières que nos décideurs ont imposées pendant des décennies. L’envie de montrer de nouvelles gueules et de raconter les histoires d’un monde finalement assez peu représenté lorsqu’on sort des œuvres d’Olivier Marchal. B.R.I. a de quoi déconcerter aux premiers abords : l’image, la diction des comédiens, les décors… Il faut savoir passer outre et se plonger dans cet univers constamment nourri par l’amour de son auteur pour une certaine littérature policière. 

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