La Gravité : La cité, cette prison

La Gravité, de Cédric Ido (scénariste de la série Oussekine, disponible sur Disney+), est un film qui ne paie pas de mine au premier abord, mais qui recèle pourtant de beaucoup de surprises. Véritable produit d’un cinéma next-gen dynamique et rafraîchissant il s’agit d’un film de science-fiction s’inspirant des nouvelles productions stylisées, un peu à l’américaine. Doté d’une narration rythmée et d’un visuel marqué, La Gravité est un film fait par et pour un public jeune. Le sujet et le contexte ont un ancrage profond dans une société de plus en plus débrouillarde. Sur la base d’un scénario assez simpliste et d’une action brute, on ne se doute pas de toute la portée sociale pertinente que le film aborde.

On ne peut s’empêcher de revenir sur ce point tant La Gravité paraît intrusif dans le spectre cinématographique français. Le film possède un visuel artistique fort et prononcé (sauce Mortel de Frédéric Garcia) situé entre l’effet lumineux extérieur improbable – donnant une teinte visuelle et narrative surprenante au long métrage – et son influence tarantinesque pour la scène dans la cave. Rares sont les films à petit budget qui s’imposent tant sur la mise en scène que le montage. Car définitivement, si l’on a parfois des impressions d’amateurisme, on ne peut que reconnaitre l’efficacité et la crédibilité recherchées : l’ambiance est lourde, l’atmosphère pesante, la mise en scène réaliste. Il s’agit d’une parfaite juxtaposition entre réalisme et science-fiction/fantastique. Un événement en dehors de tout contrôle vient diriger la vie de cette cité sans forcément en changer la nature ou le quotidien.

Au-delà de ça, La Gravité est une sincère retranscription de l’état actuel des cités par rapport à leur situation il y a vingt ans. D’une certaine manière, il n’est qu’un digne successeur de La Haine auquel on a rajouté un peu de science-fiction. Les jeunes d’aujourd’hui dirigent en totalité les cités et y font la loi, pour le meilleur et pour le pire de ces cités malheureusement. Mais le constat est fait : ceux qui dirigeaient ce royaume la génération précédente n’y sont souvent plus les bienvenus. Le trafic de drogue et le deal de stupéfiants en sont les maîtres mots. Le film aborde très bien cette confrontation entre nouvelle et ancienne génération, avec une évolution alarmante des systèmes de réseaux structurés et parfaitement hiérarchisés. Différents dialogues mettent clairement en exergue cette mentalité presque entrepreneuriale de la débrouillardise, tout comme la folie gestionnaire dans laquelle un groupe défend et fait fructifier des intérêts qui ne sont même pas cotés en bourse.

De plus, on peut y voir une belle métaphore à la fin. La Gravité plaque au sol ceux qui n’ont ni l’ambition ni le courage de quitter la cité et de vivre leur destin comme ils l’entendent. Car même si le business dans lequel les jeunes se confondent a des avantages alléchants, il s’agit d’un trafic dangereux et illégal. Bien souvent, ces acteurs du marchandage n’en sont même pas vraiment les joueurs, mais plutôt les pions, les prisonniers d’un système dans lequel ils n’ont personne d’autre qu’eux-mêmes pour s’en sortir. « La gravité dirige les directions » dont celles des ados qui préfèrent continuer à s’auto-gangréner, eux et leur cité – pour leur bien comme pour leur mal – plutôt que de s’échapper et de diriger leur propre vie. L’argent et la marchandise sont à la fois leur opium et celui qu’ils vendent à leurs clients. En créant un marché financier alternatif avec son propre système communautaire, certaines cités s’emprisonnent elles-mêmes sans chercher à s’émanciper de leur propre enclave.

Malgré un style qui lui est propre et un visuel inattendu, La Gravité est un film profond et passionnant qui se sort admirablement bien de son sujet pour dresser le constat alarmant de tout un pan de notre société. Le film est infiniment plus malin et intrigant qu’il n’en a l’air, malgré un public visé très générationnel. On y va sans en attendre quoique ce soit, on écarquille les yeux de surprise et on en ressort plutôt divertis avant de prendre conscience de toute la portée symbolique et sociale du film après quelques jours.

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