Misanthrope : L’Homme qui n’aimait pas les Hommes

9 années se sont écoulées entre le succès inattendu, mais justifié, des Nouveaux Sauvages et le nouveau film de Damián Szifron annoncé en catimini quelques semaines avant sa sortie. Le projet a tout pour intriguer jusqu’à son titre français Misanthrope, plus recherché que le banal To Catch a Killer original. Rien n’a fuité sur la raison de cette absence et l’on ne peut que supposer que le réalisateur a eu du mal à monter les projets qu’il voulait, à moins qu’il ait rencontré des problèmes personnels ? La communication autour du film ne nous donnera pas de réponse. Pour le moins énigmatique, la bande-annonce dépeint une ville sombre où rôde un tueur invisible, traquée par Eleanor, une jeune détective interprétée par Shailene Woodley qui essaye de se sortir de son image d’actrice teen pour la franchise Divergente. Après The Batman l’année dernière, nous voilà face à une nouvelle œuvre sous influence Seven et David Fincher. Loin de tenir la comparaison, Misanthrope amène une variation autour du film de traque, avec la volonté de sortir de certains de ses tropes sans non plus parvenir à en créer de nouveau. Le film est béni par une première heure haletante et formellement époustouflante, mais s’embourbe dans les pièges narratifs qu’il s’est lui-même imposé.

La première séquence muette de Misanthrope est une des plus marquantes de ce début d’année. Citant très explicitement celle du premier Inspecteur Harry, nous observons plusieurs groupes de personnes fêtant innocemment le nouvel an dans leur luxueux appartement new-yorkais. Filmées avec un simple plan large, une impression inquiétante se dégage de ces scénettes anthropologiques. Puis, synchronisé sur le son des feux d’artifice, les tirs commencent à s’abattre sur ces pauvres fêtards, isolés dans le nombre par la balle qui vient de leur ôter la vie. Violence contre la masse, victimes choisies au hasard, le spectateur est privé de l’habituel motivation misogyne derrière le meurtre de femmes. La cible n’est pas une catégorie d’individus, mais la société dans son ensemble. Le tueur ne cherche pas à montrer la décadence sociale d’une ville gangrénée par les fameux péchés capitaux de Seven, mais plutôt un système basé sur l’indifférence et le mépris de la souffrance des autres. On le voit notamment avec la scène de présentation du protagoniste où notre jeune policière, est chargée par le gérant d’un diner d’expulser une vieille femme assise depuis des heures à une de ses tables, au simple motif qu’elle est légèrement ivre. Eleanor refuse de s’exécuter alors que les premiers appels paniqués résonnent dans sa radio. Collée à son point de vue au point de l’embrasser pleinement avec des plans à la première personne, nous suivons la traque d’Eleanor jusqu’à un appartement incendié par l’explosion d’une grenade. Une vingtaine de personnes sont mortes ce soir-là et personne n’a rien pu faire. Le tueur n’a laissé aucune trace.

La tension retombée, c’est là que débute véritablement le film avec l’introduction de Ben Mendelsohn en haut gradé du FBI à la tête d’une enquête aux ramifications politiques ingérables. Damian Szifron fait le choix de nous plonger dans l’envers du décor de ces investigations à grande échelle. Les guerres de pouvoir font rage et des compromis sont faits là où on ne devrait pas en faire, souvent au détriment de l’enquête. Un dialogue, étrange dans le contexte, schématise parfaitement ces thématiques. Le personnage de Ben Mendelsohn compare la décision du maire de ne pas bloquer la ville, à celle du maire des Dents de la Mer qui refuse de fermer les plages après les premières attaques du requin. En cynique, le représentant du maire lui répond que la leçon à tirer de la franchise est que le maire est toujours en place dans le second opus. Ces entraves à l’obsession grandissante de nos personnages principaux rappellent un autre pan de la carrière de David Fincher avec Zodiac ou encore Mindhunter. La seule raison pour laquelle Eleanor est admise en tant qu’agent de liaison avec le FBI, c’est pour sa capacité à comprendre les motivations du tueur, à la manière du Will Graham d’Hannibal. Ben Mendelsohn devient alors une sorte de mentor pour la jeune policière. Mais cette volonté de réalisme dans les rapports de force entre les différents services finit par desservir le film à mesure que l’enquête s’embourbe dans un attentisme décevant.

Passé l’impressionnante première tuerie, le passage à l’acte suivant paraît bien dérisoire. La dangerosité de cet homme sans visage n’est pas assez échelonnée sur le temps pour représenter une menace de tous les instants. Comme si John Doe s’était arrêté à la Paresse dans son plan machiavélique. On pourrait presque penser que des scènes ont été coupées lorsqu’au détour d’un dialogue, un personnage parle de 200 victimes alors qu’on est très loin du compte avec les scènes actuelles. Toute l’ambivalence de cette narration qui n’arrive pas à choisir entre réalisme cru du bureaucratisme américain et irréalisme de la symbolique fictionnelle est là. Ce final confus qui fait valoir le nihilisme d’une tragédie ne transcende pas une résolution quelque peu attendue. Les scénaristes font le choix de ne jamais révéler le traumatisme d’Eleanor, déjouant une partie de nos attentes, mais nous empêchant en même temps de bien comprendre comment cette jeune femme comprend aussi bien la psychologie du tueur. En découle une protagoniste sans grande aspérité, jamais sur le fil de la légalité, moralement irréprochable… Le pire réside dans cette scène “d’Euréka” où Eleanor a une révélation dans sa baignoire sans donner au spectateur la possibilité de comprendre d’où venait son raisonnement. Shailene Woodley, aussi honnête et talentueuse soit-elle, ne parvient pas à ancrer sa carrure d’actrice de premier rôle, à l’image des derniers plans du film mous au possible et sans propos, à des années lumières du reste du film. Il faut néanmoins reconnaître le travail d’orfèvre de Damián Szifron qui ne se lasse pas de jouer avec toutes les tensions qu’il peut trouver.

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