Burning Days : Enquête d’un citoyen au-dessus de tout soupçon

Emre, jeune procureur déterminé et inflexible, vient d’être nommé à Yaniklar, petite ville reculée de Turquie. À peine arrivé, il se heurte aux notables locaux bien décidés à défendre leurs privilèges par tous les moyens. En effet, la ville est en proie à des problèmes d’accès à l’eau et des dolines (érosions du sol en forme de cercle) font régulièrement leur apparition, engloutissant parfois des habitations entières. Mais Emre va se retrouver confronté à un problème plus épineux. Après avoir passé une soirée alcoolisée dans la maison du maire et de son fils, il rencontre Pekmez, une jeune gitane. Le lendemain il apprend que celle-ci s’est fait violer et en déduit que le coupable n’est autre que le fils du maire. Procédant à son arrestation, il n’a cependant pas assez de souvenirs de la soirée pour constituer un témoin oculaire probant et surtout il en vient à se demander si, d’une façon ou d’une autre, il n’a pas participé ou du moins assisté au viol… La spirale infernale ne fait que commencer.

C’est de ce postulat fort passionnant que part Burning Days sans pour autant s’arrêter uniquement à cette intrigue prenante mais classique. Le film réalisé par Emin Alper est d’une grande richesse et vient puiser dans de nombreux genres pour étoffer son récit. Burning Days est en effet l’histoire d’une enquête (avec un côté très influencé par le cinéma de Dario Argento, le héros devant fouiller dans les tréfonds de son inconscient pour se souvenir de la soirée où tout a basculé), le portrait d’une ville (et par extension du pays) rongée par la corruption allant droit vers le gouffre ainsi qu’un récit teinté de fantastique et d’homo-érotisme sous-jacent. En un peu plus de deux heures de métrage, Burning Days affiche ainsi une richesse étourdissante que le film ne parvient pas toujours à bien équilibrer (le rythme est un poil trop lent et en même temps le récit est presque trop court pour tout ce qu’il contient) mais l’ensemble n’en demeure pas moins résolument fascinant, ancré dans un contexte qui nous est étranger tout en touchant des thématiques universelles (le cinéaste dit d’ailleurs s’être inspiré de la pièce Un ennemi du peuple de Ibsen pour construire son film).

Il faut saluer d’une part la capacité du film à en raconter beaucoup en prenant toujours des détours surprenants et d’autre part la façon dont il entretient habilement le mystère autour de ses personnages, préférant soulever des questions plutôt que d’apporter des réponses toutes faites – et donc forcément convenues. Guère attachant par ses principes rigides et même juridiquement douteux (quand il procède à l’arrestation du fils du maire selon les dires de Pekmez, nous n’avons jamais assisté au témoignage de la jeune femme), Emre est un personnage complexe, s’engageant sur un terrain glissant duquel il est bien trop proche pour ne pas se mettre en danger. Même Murat, journaliste ténébreux au passé trouble venu l’aider n’est jamais totalement clair sur ses réelles intentions et tout l’attrait de Burning Days réside autant dans ce qu’il se passe à l’écran que ce qu’il ne s’y passe pas, le scénario refusant obstinément de livrer clés en main la psychologie de ses personnages.

Nourrissant en permanence l’ambiguïté, Emin Alper nous dit que le bien pur n’existe pas et que la réalité le force toujours à se révéler dans ses potentiels défauts. Attaché à un personnage ambivalent, Burning Days affiche une assurance et une précision de chaque instant dans sa mise en scène, construite autour de plans parfaitement composés servant peu à peu à déstabiliser la figure proprette que représente ce jeune procureur, bien évidemment incapable d’arriver à quoi que ce soit dans cette ville corrompue sans lui-même se salir les mains et réaliser l’étendue de la corruption généralisée. Il en résulte un film fascinant qui, jusqu’à sa conclusion abrupte (et en même temps cohérente) n’a de cesse de pousser le spectateur dans ses retranchements sans jamais céder au manichéisme. Vertigineux.

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