L’incroyable alligator : L’œil de saurien

Ils sont mignons les bébés animaux, tous, même les prédateurs les plus dangereux, alors on craque et on en achète un. Puis le bébé grandit, devient encombrant, dangereux, et on l’abandonne à l’extérieur de la ville, pensant qu’il retrouvera son instinct, ou on le bazarde dans les toilettes, un coup de chasse d’eau et on n’en parle plus. C’est ainsi que débute L’incroyable alligator de Lewis Teague sorti en 1980. Après avoir assisté à un spectacle de reptile particulièrement sanglant, une petite fille convainc ses parents de lui acheter un mignon bébé alligator qui terminera dans un wc.

Onze ans après ce début un peu poussif, et contre tout bon sens, l’alligator a bien grandi. Il a faim, croque tout ce qui passe à sa portée et laisse traîner derrière lui des morceaux d’hommes et de femmes. Ce puzzle humain finit par inquiéter les autorités qui confient l’enquête à Robert Forster qui incarne un policier chevronné et blasé, entouré de rumeurs suite à la mort suspecte de son dernier partenaire.

Très rapidement, celui-ci découvre une piste et l’on apprend qu’une société pharmaceutique fait des tests sur des animaux volés et bazarde leurs cadavres bourrés d’hormones et de produits chimiques dans les égouts. Un fameux gueuleton pour le saurien qui atteint des proportions dantesques grâce à ces cocktails. La crainte de voir ce monstre surgir des entrailles de la ville pour dévorer la population pousse le flic à s’aventurer dans l’antre de la bête. Un scénario de film de monstre à priori banal se profile à l’horizon, mais L’incroyable alligator surprend et se révèlera un très bon film.

Il surprend d’abord par sa partie policière. Particulièrement bien traitée, on se demande par moments si l’on est devant un film de monstre ou un polar dans lequel l’alligator n’est qu’un suspect dans une affaire de meurtres en série. L’intrigue se construit et se développe au même rythme qu’un film policier de cette époque, avec les figures tutélaires du maire, du chef de la police, de la presse. Si le travail du scénariste, John Sayles, y est pour beaucoup, le mérite en revient aussi à l’acteur principal, Robert Forster, qui ne s’est pas contenté d’interpréter un policier mais de lui donner vie. Contrairement à de nombreux films de série B qui délaissent le jeu d’acteur, souvent par manque de temps, au profit d’autres aspects de la réalisation le film de Lewis Teague est porté par une galerie d’acteurs convaincants et investis.

Si L’incroyable Alligator peut se ranger au rayon des films policiers, cet aspect n’en occulte pas pour autant la partie horrifique du film. Enfoui tout au fond des égouts, dans un lieu étroit, sombre et poisseux, le réalisateur joue habilement avec l’obscurité des lieux pour retarder l’apparition du monstre. Les séquences sous terre sont une réussite totale, le jeu d’ombre et de lumière augmente l’impression de claustrophobie et maintient une tension permanente, ce qui pousse à comparer ce film à Alien, celui de Ridley Scott, dans lequel la menace reste invisible, faisant de l’obscurité le véritable ennemi.

Malgré toute la volonté de cacher le monstre, il y a un moment où celui-ci doit se montrer et c’est toujours délicat, tant les attentes peuvent être grandes. Le film de Lewis Teague se prend les pieds dans le tapis au moment de la fameuse apparition. La créature en elle-même est tout à fait crédible lorsqu’on ne voit que sa gueule, sa queue ou ses pattes, mais lorsqu’elle est en pleine lumière on remarque trop facilement un bébé saurien évoluant au milieu de maquettes et le monstre, censé mesurer une dizaine de mètres, perd un peu de sa superbe. Ceci est un détail qui ne nuit en rien à la qualité du film. D’ailleurs, le monstre n’apparait qu’une seule fois dans son intégralité, cela est dû notamment à la confection de l’alligator, trop lourd et trop rigide pour être manipulé correctement, ce qui a poussé le réalisateur à revoir sa manière de le filmer. Cette nécessité donne des cadrages originaux et offre de très beaux démembrements gore en gros plan.

L’incroyable alligator est un spectacle réjouissant et moderne qui mélange habilement les genres et jongle avec talent entre humour, horreur et critique sociale. Bien que le film soit sorti en 1980 après Piranha, Les dents de la mer et Alien, celui-ci n’a rien à envier à ces superproductions. Le film de Lewis Teague réjouira les curieux, ravira les fans de série B et de films de monstre, et procurera à ceux qui l’ont déjà vu les mêmes émotions qu’au moment de sa sortie en salle. Un classique du genre.

Bonus DVD

Après un film réjouissant, Carlotta Film propose un contenu supplémentaire riche et instructif.

– Une interview de Lewis Teague qui se souvient des péripéties liées au développement du scénario, la confection de la créature, l’étonnante et très bonne réception du film par la presse au moment de sa sortie.

– Une interview du scénariste John Sayles. Il est toujours sympa et intéressant d’écouter un scénariste égrener toutes les petites choses qu’il a vu ou lu et dont il s’est servi pour écrire. A cela s’ajoute les contraintes d’écriture liées aux contraintes de production et de tournage.

– Une interview de Bryan Cranston qui raconte ses premiers pas dans le milieu du cinéma et son rôle de préparateur pour la séquence finale. Après ça, on se perd un peu dans des anecdotes anodines.

– Une interview de Robert Short, responsable des effets spéciaux et du maquillage. Un témoignage important qui permet de faire connaitre et laisser s’exprimer les autres acteurs du cinéma. Eux aussi ont leurs histoires croustillantes à raconter et l’on ne peut que s’extasier devant leur ingéniosité et leur créativité. Du bricolage savant.

– Des scènes additionnelles ou censurées de la version télévisée ; deux bandes-annonces et des spots publicitaires viennent rassasier les plus curieux.

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