
Il est l’un de ces films qui ont fait l’unanimité au festival de Cannes. Il est aussi l’un de ces films qui ont fait frémir et pleurer plus d’un spectateur habitué de la croisette. Close, du jeune flamand Lukas Dhont sorti en salles en 2022 et en DVD le 7 mars dernier était attendu comme l’on attend la deuxième saison d’une série que l’on a dévorée avec bien trop de gourmandise. C’est le deuxième long métrage d’un réalisateur au regard particulier sur des problématiques et sujets trop peu abordés, d’ailleurs déjà encensé par la critique avec Girl. A travers son deuxième film, il aborde au plus près jeunesse et virilité, innocence et brutalité.
Léo et Rémi sont deux jeunes amis que rien ne peut séparer. Ils sont la représentation de la jeunesse adolescente insouciante, celle qui court les champs de fleurs à s’en couper le souffle, à tout partager. Ils sont indiscutablement et physiquement proches, ce qui est tout naturel pour les deux jeunes hommes qui vivent une amitié fusionnelle. Pourtant, une remarque sur leur relation par une de leurs amies vient bouleverser le monde de Léo, qui repousse Rémi. S’ensuit un événement qui les séparera définitivement. Le monde, bien qu’il semble toujours le même, n’est plus ce qu’il semblait être pour Léo. Au fil des saisons, ce dernier fait un voyage à travers une épreuve de la vie.
Close, c’est avant tout l’impression, la sensation de douceur, de rêve et de poésie. Lukas Dhont nous livre une histoire de jeunesse tant passionnée que torturée à travers un cadre et une photographie travaillés, peinture d’une campagne ensoleillée que l’on franchit par escapades à travers les champs de fleurs, courses à vélo effrénées et où l’on se réunit à de grands repas de famille, empreintes d’une enfance heureuse. L’esthétisme est ce qui cache le drame dans cette œuvre : c’est un vernis sur une réalité dure et choquante, c’est justement à l’image de ce qui se joue dans le long métrage. La souffrance de certains personnages, tel que la mère de Rémi et Léo est refoulée, ou masquée, et c’est ce que l’esthétisme de l’œuvre représente. Dhont engendre une œuvre basée sur la litote, soit l’art d’en dire le moins, pour signifier plus. Les répliques seraient vaines pour un personnage qui s’emmure dans la culpabilité et la virilité prétendue, celle qui le pousse vainement à essayer de devenir un homme, ce qui l’a par la même occasion fait repousser son ami de toujours.
A l’inverse, la caméra se rapproche des personnages pour privilégier leurs émotions – ou bien leur absence. Le regard de Léo devient à la fois l’œuvre, mais aussi le prisme à travers lequel Rémi est perçu avec amour et dévotion, notamment lors de la séquence du concert. Il voit aussi la mère de Rémi, qui devient une figure parentale pour le jeune homme. Emilie Dequenne livre une prestation toute en justesse, celle de la mère aimante, parfois presque l’amie de son enfant, tout en accompagnant Léo dans cette épreuve malgré une tristesse et des questionnements douloureux. C’est la mise en scène de l’art du sacrifice parental, qui n’est pas oublié par le réalisateur.

L’on remarque d’ailleurs la volonté d’opérer ce voyage des émotions à travers le cycle de la vie. L’œuvre s’étend sur une année, ce qui permet à son auteur de capturer l’évolution de la relation mais aussi du deuil au fil des saisons, chacune ayant une signification particulière. L’automne enterre la relation et fait disparaître ce qu’il y a de beau, l’hiver aux teintes froides devient l’arrière-plan d’une virilité exacerbée tentant de nier la culpabilité, tandis que le printemps fait naitre les émotions, auparavant enfouies, pour mieux terminer le cycle, menant vers une acceptation douloureuse.
C’est aussi ça, Close ; c’est lever le voile sur les sentiments, et notamment sur ce que ressentent les hommes, et l’interdiction implicite de montrer ce qui les émeut. C’est remettre en question de la plus simple des manières l’injonction sociétale faite à la gente masculine : la répétition des séances de hockey sur glace et les nouvelles amitiés semblent fortuites et insipides pour Léo, face à l’apparition aussi violente que naturelle des pleurs du père de Rémi devant toute la famille du personnage principal. Il y a aussi évidemment les émotions à fleur de peau de Rémi durant toute la première partie, celle qui donne le plus de corps à cette œuvre. L’on pense encore à la scène de bagarre dans la cour de récréation, qui peut sembler de prime abord enfantine, mais qui cache en réalité une douleur qui se retranscrit sans peine à l’écran par les jeux d’acteurs immaculés de Gustav de Waele et Étienne Dambrinne. Toute cette problématique se voit liée à une symbolique des couleurs. Rémi, tout comme sa mère portent des vêtements de couleur chaude, tout comme le mur rouge dans sa chambre : c’est la passion, l’émotion à l’état pur qui n’est pas cachée, à l’inverse de Léo, toujours affublé de blanc, cette couleur qui n’en est pas véritablement une, comme s’il devait en choisir une afin de décider de son avenir. Il est perméable, et ce jusqu’au bouleversement. Au fur et à mesure, Léo est entouré de bleu, couleur de la virilité, et de teintes froides qui se retrouvent tant sur le terrain de hockey sur glace que dans sa chambre et celle des autres. Il n’est plus de chaleur sans son ami.

Somme toute, l’œuvre s’illustre par sa capacité à accompagner les spectateurs dans cette résilience universelle à l’aide de musique classique qui se fait entendre au bon moment, jusqu’à atteindre le tempo allegro lors de la sinistre découverte de Léo, qui s’illustre par un plan marquant, bien qu’il n’y ait pas de violence visuelle. L’anaphore musicale laisse sa place aux respirations saccadées du jeune homme qui viennent illustrer sa peine, voir son incapacité à vivre et respirer normalement dans une seconde partie qui prend son temps, parfois trop. Une fois le drame arrivé, le réalisateur nous livre le processus de deuil du jeune homme. Les émotions vives (de quelque nature qu’elles soient) des jeunes hommes sont remplacées par une litanie hebdomadaire qui peut très vite déstabiliser les spectateurs et sembler vide de sens. Léo s’emmure dans le silence, face aux émotions de tierces personnes, presque à tout va. Il survient même une certaine frustration, tant la prestation marquante de Gustav de Waele disparaît bien trop vite à notre goût. Peut-être est-ce une traduction de l’état d’esprit de Léo, après tout. Malgré cette langueur qui ne rend pas service à l’histoire principale, l’on peut déceler d’autres thématiques qui ne viennent pas effacer les autres : il s’agit de mettre en lumière l’innocence des jeunes garçons, tant dans leur relation que dans leur manière de percevoir le monde (ce qui est d’ailleurs retranscrit par les plans très mouvants, très éclairés), frappée par l’horreur d’un acte qui ne devrait pas faire partie de leur univers.
Close fait certainement partie des long-métrages qui ne se voient peut-être qu’une seule fois, tant le choc peut être brutal. C’est un de ces longs-métrages abrasifs à l’allure douce et heureuse, à l’image du personnage qui s’en va. A travers cette deuxième proposition, Lukas Dhont confirme son talent de réalisateur, sa capacité à choisir et diriger ses acteurs, bien qu’il soit à la limite de tomber dans une profondeur dramatique qui viendrait étouffer les thématiques principales. Somme toute, Close est une vibrante retranscription du deuil, qui s’accepte plus sereinement lorsque Léo se fait enfin au départ de son ami, à nouveau heureux dans les champs de fleurs d’été, en témoigne le plan final.
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