R.M.N. : Rayon X-énophobia

Ce fut l’un des grands oubliés du palmarès de la 75ème édition du Festival de Cannes ; officiellement sélectionné pour concourir à la Palme d’Or 2022 mais fâcheusement reparti bredouille en dépit de ses grandes et nombreuses qualités de forme et de fond le R.M.N. du magistral Cristian Mungiu – disponible en Blu-Ray et DVD depuis le 25 janvier de cette année 2023 aux éditions Le Pacte – s’agit d’une oeuvre de cinéma particulièrement brillante, dont la densité thématique et anthropologique s’accouple avec panache à une technicité tour à tour imparable et fascinante ; une oeuvre au sortir de laquelle le spectateur pourra à sa guise se poser moult questionnements quant aux limites et possibilités de la Nature humaine, potentielle fable tenant lieu dans les contrées reculées d’une Transylvanie hivernale se frayant un chemin de jolie traverse vers tout un imaginaire universel relatant la cruauté morale du genre humain.

R.M.N. ou la Roumanie débarrassée de ses voyelles ; R.M.N. ou l’éventuelle radiographie d’une Europe frappée par le repli sur soi et la peur de l’Autre. Une Europe accueillante par défaut, comme à son corps défendant, parlant pas moins de quatre à cinq langues dans le même film (roumain et hongrois mais aussi allemand, anglais et même français dans ses quelques accès d’humeur latine, ndlr), une Europe littéralement babélienne où l’autochtone et l’étranger devront composer l’un avec l’autre, malgré l’esprit de conservation du premier et l’instinct de survie du second… En deux heures de métrage passionnantes et fondamentalement solides et conséquentes Cristian Mungiu dresse le constat d’un territoire-limite au coeur duquel toute la bassesse de l’Homme apparaît sous sa forme la plus rude, la plus proche de l’os. Mettant à nu la xénophobie ambiante d’un village transylvanien passant le plus clair de son temps entre la sédentarité du foyer familial et les messes quotidiennes d’une église reconvertie en salle communale (le fameux plan-séquence de quinze minutes survenant lors de la dernière demi-heure est, de ce point de vue, renversant de virtuosité vivante et calculée dans le même mouvement de brillance) Cristian Mungiu parvient de façon admirable à dépeindre le Monde d’aujourd’hui à renfort de contrepoint savamment élaboré par ses soins. Il évite en outre toute forme de démonstration, réfutant le didactisme et encore plus le manichéisme pour mieux privilégier l’empathie et les vertus de la perspective morale et – de fait – essentiellement humaine : et c’est magnifique.

Difficilement résumable car principalement inductif et universel R.M.N. s’ouvre néanmoins sur l’image d’un enfant qui a peur ; déambulant sous les frondaisons d’un bois enseveli de neige épaisse le petit Rudi semble apercevoir, quelque part en hors-champ, l’objet de sa timidité : une présence autre, éminemment ennemie, invisible à notre regard (S’agit-il d’un ours brun ? D’un malandrin ? D’un étranger revenu d’entre les morts ?…). En à peine un peu plus d’une minute le cinéaste roumain parvient à cibler le Sujet principal de son film : la peur et ses innombrables retombées ontologiques et idéologiques, cristallisée ici-même au travers de la figure de ce petit garçon incapable de se rendre seul sur le chemin de l’école… R.M.N. déploiera par la suite tout un saisissant catalogue des peurs de ses autres et nombreux personnages : un père de famille homophobe fraîchement remercié de son travail d’ouvrier dans un abattoir à l’orée du métrage, un couple d’amis sri-lankais ayant bien du mal à intégrer les us et coutumes du village sus-cité et devant essuyer le racisme des hongrois et des roumains installés in situ ou encore une cheffe d’entreprise en agroalimentaire incapable d’éviter l’ire de ses employés et se livrant in fine à des méthodes de recrutement déontologiquement contestables…

Hobbes l’a écrit mieux que personne : « L’Homme est un loup pour l’Homme« , et le dernier long métrage du réalisateur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours nous le rappelle avec intelligence et éloquence. A la fois synthétique et intemporel R.M.N. apparaît comme l’un des indispensables du dernier Festival de Cannes, à l’heure où les groupuscules d’extrême-droite continuent de prendre du galon d’un côté ou de l’autre d’une Europe gangrénée par la haine des uns et l’hypocrisie du vivre-ensemble des autres. C’est d’ailleurs là où le film fait très mal et qu’il le fait très bien, n’épargnant rien ni personne et mettant un point d’honneur à scanner sans faux-semblants la Nature humaine. Un grand film.

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