L’Eden (La Jauría) : Rencontre avec Andrés Ramírez Pulido

A l’occasion de la sortie du film L’Eden, ce mercredi 22 mars, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Andrés Ramírez Pulido. Le réalisateur colombien nous explique entre autres la naissance de ce film et sa manière de diriger ses acteurs avec simplicité et sincérité.

Tout d’abord, comment est né ce projet ?

D’un côté, ce film est d’abord né de mes préoccupations et inquiétudes très personnelles. Depuis longtemps je porte des questionnements profonds à propos de la figure paternelle, de la relation entre enfants et parents, de l’héritage parfois lourd à porter. D’un autre côté, ce projet est aussi né grâce à mes rencontres. Je suis originaire de Bogotá, la capitale de la Colombie et j’ai rencontré beaucoup de jeunes qui se posaient les mêmes questions. J’ai rencontré des communautés d’adolescents très isolés, qui devaient faire face à une grande violence, au monde de la drogue et de la délinquance. C’est en accumulant mes réflexions intimes et ces rencontres que j’ai décidé de faire ce film. Pour moi il s’agissait de partir d’une certaine réalité et de la transposer à l’écran pour en proposer une autre, une réalité pour le cinéma.

Dans votre film, le décor est central et plutôt atypique. Comment avez-vous trouvé cette ruine de villa abandonnée qui donne tout son cachet à l’ambiance étrange de votre film ?

Le décor utilisé dans le film est celui dans lequel j’ai filmé mes deux premiers courts-métrages El Edén (2015) et Damiana (2017). C’est drôle parce que ce premier long métrage est une sorte de réunification de ces deux courts précédents, qui partagent tous le même décor. Dans El Edén je filme deux garçons qui explorent cette ruine en pleine jungle et dans Damiana je raconte l’histoire d’une communauté de jeunes filles isolées et gardées sous surveillance. Le film apparaît vraiment comme une sorte de synthèse de ces deux récits sous forme de long métrage. Quand je l’ai écrit, j’ai immédiatement pensé à cet endroit pour le décor. C’est une villa qui appartenait à de vrais narcotrafiquants, avant de devenir une propriété de l’État Colombien. C’était très difficile de tourner à cet endroit car il fallait beaucoup d’autorisations. L’essentiel du décor était déjà là mais avec la directrice artistique, nous avons rajouté quelques éléments, dont les colonnes au style gréco-romain. Il fallait appuyer l’esthétique ostentatoire propre aux villas des barons de la drogue.

Donc vous êtes habitué à travailler avec de jeunes acteurs depuis vos débuts. Comment les avez-vous castés puis dirigés ?

Je suis simplement sorti dans la rue pour les trouver. Ils ne sont pas professionnels. J’ai rencontré Jhojan (qui interprète Eliú) alors qu’il se baignait dans une rivière et Maicol (qui interprète El Mono) dans un parc en train de manger une glace. Concernant la direction, il fallait d’abord établir un lien de confiance entre eux et moi. J’ai pris le temps de les habituer à la présence de la caméra pour qu’ils puissent être complètement eux-mêmes. On a passé beaucoup de temps ensemble, en faisant des sorties par exemple, pour qu’ils puissent être à l’aise et naturels devant la caméra.

Aviez-vous un objectif particulier en réalisant ce film ? Un discours, un message que vous vouliez transmettre au spectateur ?

Je pense que je souhaitais surtout poser des questions auxquelles je n’ai pas forcément la réponse : peut-on changer ? si oui, comment ? Qu’a-t-on hérité de nos parents ? Avec ce groupe de jeunes garçons, je me suis aussi pas mal intéressé aux différentes représentations de la masculinité, aux questions qu’elles posent mais aussi aux réponses qu’elles sous-entendent. J’imagine mon film comme constitué d’un amas de différentes couches. Parmi elles, il y a une couche spirituelle, dans laquelle j’aborde le thème de la rédemption et de la libération, tout cela à travers les différentes rencontres du personnage d’Eliú et son cheminement carcéral.

Avez-vous eu des inspirations particulières pour ce film ?

J’ai essayé de ne pas laisser mes références prendre le dessus. J’ai voulu les mettre de côté pour faire un film « à moi », très personnel. Néanmoins, il est indéniable que mon imaginaire soit nourri de certaines références notamment venant des films de Nuri Bilge Ceylan (Sommeil d’Hiver, Le Poirier sauvage), de Lucrecia Martel (La Femme sans tête, Zama) ou encore du film Apocalypse Now.  

Et de manière plus générale, avez-vous des inspirations particulières, qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?

J’aime beaucoup la réalisatrice Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro, Le Pupille) mais sinon je suis plutôt inspiré par des artistes qui viennent d’autres disciplines comme la musique, notamment John Foreman.

Un prochain projet en développement ?

Je vais peut-être tourner un court métrage cette année, mais je ne me presse pas pour un second long métrage. J’attends que cela naisse naturellement.

Nous remercions chaleureusement Claire Viroulaud et son assistante Léa Guez pour l’organisation de cette interview en visioconférence le 20 mars 2023. Nous remercions également Chiara Raffaeli, l’interprète, qui a permis la traduction de cet échange, ainsi que Andrés Ramírez Pulido d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

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