The Last of Us – Saison 1 : La survie à l’écran, le recopiage au tournant

À une époque où la franchise règne en maître sur nos imaginaires, un médium aussi populaire que le jeu vidéo allait forcément finir par attirer l’attention des décideurs hollywoodiens. Cette culture d’initiés s’est aujourd’hui répandue dans toutes les strates de la société, érigeant certains jeux dans des panthéons artistiques autrefois réservés aux arts dits plus “nobles”, comme le cinéma ou la littérature. En parallèle, la série a aussi monté en gamme. L’époque des McGyver et autres feuilletons du dimanche soir nous paraît lointaine depuis que HBO a dépoussiéré l’offre télévisuelle avec des œuvres exigeantes et adultes. Aux États-Unis, la différence entre film et série est clairement en train de s’effondrer grâce à la réduction du coût des effets spéciaux. Les créateurs du petit écran ont accès à des univers auparavant inabordables et la place de s’exprimer plus librement. Le format d’un projet ne dépend plus d’un quelconque jugement de valeur entre deux industries voisines, mais uniquement de la durée requise pour raconter l’histoire. Il était alors évident que des narrations étirées sur des dizaines d’heures de jeu soient plus compatibles avec une saison qu’avec un film limité à deux heures de métrage. Il suffit de voir la différence de qualité entre la série The Last of Us et le film Uncharted – les deux poulains du studio Naughty Dog – pour s’en rendre compte. Avec The Last of Us, beaucoup de joueurs considèrent avoir enfin trouvé une adaptation à la mesure du jeu qu’ils ont aimé, bien loin des tentatives, souvent monstrueuses ou insipides, qu’ils ont subies pendant des années. Le succès de la série est tel que son renouvellement a été acté… à peine le troisième épisode diffusé. Une question nous taraude néanmoins à la vision de cette saison, en tout point identique au récit du premier jeu. À qui la série s’adresse-t-elle réellement ?

Quand de nombreuses adaptations de jeux vidéo ont été annoncées, personne n’a été surpris d’y voir figurer The Last of Us. Déjà sous influence cinématographique, ce triple AAA d’action-aventure représentait un cadre parfait pour forger une narration plus traditionnelle. Mais la partie la plus enthousiasmante de cette annonce se trouvait dans la présence de Craig Mazin, showrunner couronné avec l’immense Chernobyl et Neil Druckmann, parent des jeux originaux, aux commandes du projet. La cerise sur le gâteau ? Le retour de Johan Renck, collaborateur essentiel de Mazin sur Chernobyl, en réalisateur du pilote et potentiellement d’autres épisodes. À ce stade, nous savions uniquement que la série reprendrait l’histoire des jeux, qu’il s’agirait d’un remake et pas d’une séquelle. De quoi intriguer les fans du jeu. Pourquoi refaire quelque chose qui fonctionne déjà et ne pas développer plus en profondeur l’univers avec de nouveaux personnages ? Les auteurs doivent avoir un but plus noble que de simplement donner au public ce qu’il souhaite ? Ce confort dans lequel tant de spectateurs aiment aujourd’hui se complaire. Si seulement… Le temps passe et nous apprenons que Johan Renck doit quitter le projet. Il en est de même pour son remplaçant, le talentueux réalisateur Katemir Balagov, éjecté en raison de différences créatives. Nous n’en saurons pas plus. Ces événements se produisent alors que le film Uncharted en est à son cinquième réalisateur attaché. Finalement, ce sont les deux showrunners qui vont mettre la main à la pâte en réalisant respectivement le premier et deuxième épisode. C’est là que réside le principal problème de la série : la mise en scène n’est jamais au niveau requis par le récit. Car, aussi talentueux que sont Mazin et Druckmann, ce ne sont pas des réalisateurs. Les remplaçants qu’ils ont trouvés pour le reste des épisodes ne se démarquent pas non plus, nous laissant face à une adaptation qui cherche désespérément à reproduire la force visuelle du jeu sans jamais vraiment y parvenir.

Il faut noter le caractère ambivalent de la série par rapport à son œuvre génitrice, à la fois extrêmement déférente quand il s’agit de sa narration ou dans la mise en scène de certaines séquences reproduites à l’identique, et le mépris revendiqué pour l’action au centre du jeu qui est ici relégué au second, voire troisième plan. Druckmann l’a dit en entretien. L’action constante imposée par le médium vidéoludique l’a toujours frustré. La série est une manière pour lui de resserrer la narration sur ses personnages avec plus de réalisme. Une manière d’être plus “sérieux”, pour tout ce que cela peut impliquer de snob. En théorie, le projet pourrait être intéressant, mais dans les faits, la série se trouve presque dépourvue de son essence : un monde extrêmement violent et dangereux. Sans cette tension constante, l’histoire ne repose que sur des enchaînements de dialogues, certes bien écrits, mais sans nouveauté dans la façon d’aborder une relation père/fille d’adoption. Ce roadtrip dans une Amérique dévastée, on l’a déjà vu trop de fois sur nos petits et grands écrans. Ce qui était original chez l’un, ne l’est pas forcément chez l’autre. Reconnaissons néanmoins la volonté de retranscrire les sensations de la vue à la troisième personne et ainsi d’adapter l’esthétique vidéoludique à l’écran. On le voit bien dans les scènes de combat. La caméra suit latéralement Joël ou Ellie cachés derrière des protections alors que leurs ennemis rôdent dans le flou de l’arrière-plan. L’idée est encore une fois intéressante, mais la mise en place mollassonne et sans personnalité. Les réalisateurs de ces épisodes reproduisent bêtement sans transcender les codes, nous laissant doucement plonger dans une léthargie désagréable. On repense alors à la manière dont Katemir Balagov a quitté le projet. Est-il parti à cause de l’ingérence des showrunners dans son projet de mise en scène ? Son départ ne semble pas s’être fait sans quelques heurts. Le seul sursaut notable se trouve dans le climax de l’épisode 5 où une horde de cordyceps s’abat sur un groupe de rebelles autoritaires qui pourchassaient Joël et Ellie. L’occasion de montrer les mutations des infectés, histoire de dire qu’elles existent, pour ne plus jamais les aborder par la suite. Même les derniers épisodes réalisés par un cinéaste en la personne d’Ali Abbasi n’ont pas la puissance évocatrice de l’œuvre originale. Finalement, cette saison donne la décevante impression d’être un best-of des meilleurs moments du jeu. Mais n’est-ce pas le propre d’une adaptation de condenser les scènes clés d’une œuvre sur un autre format ?

Oui, mais une adaptation est censée apporter des idées supplémentaires par rapport à l’œuvre originale, des idées propres à ce nouveau médium. Or, nous sommes face à deux arts visuels très proches, une bonne partie de la narration dans le jeu passant essentiellement par des cinématiques. Si la nouveauté de l’adaptation ne peut se reposer sur la forme visuelle, il faut aller la chercher dans la structure même du récit pour éviter la répétition. Et c’est exactement ce que vont refuser de faire les créateurs de la série en suivant point par point la narration du jeu. Les quelques différences, comme les scènes introductives des deux premiers épisodes, l’effet de meute des Cordyceps ou le couple d’Indiens de l’épisode 6 sont à peine esquissés qu’on les abandonne en cours de route sans nous laisser le temps de bien apprécier ces idées. En prenant la décision de terminer cette saison en même temps que le premier jeu, Mazin et Druckmann coupent toute possibilité de déviation. Si l’épisode 3 autour de Bill et Frank a autant marqué, c’est justement parce qu’il sortait des rails du jeu pour amener un regard neuf sur des personnages déjà connus. Une lueur d’espoir qui ne sera, elle non plus, jamais réitérée par la suite. Le problème de cette course contre-la-montre narrative, c’est qu’elle oblige la série à suivre un rythme rapide (malgré un tempo plutôt lent). La relation filiale entre Ellie et Joël développée pendant une bonne dizaine d’heures de jeu à travers moult péripéties est brocardée un peu trop rapidement en quelques épisodes. Pourquoi ne pas avoir découpé le récit du premier jeu en deux saisons ? C’est d’ailleurs ce qu’ils ont annoncé vouloir faire pour la deuxième saison. L’inverse aurait été suicidaire.

Comme la deuxième version d’un texte, la série corrige quelques lacunes et affine des idées préexistantes. Les motivations et les traumatismes de Joël sont mieux exprimés que dans le jeu. Il en est de même pour sa relation avec Tess qui gagne légèrement en profondeur. Joël est ainsi présenté comme un homme coupé de ses émotions, capable de brûler le corps d’un enfant sans hésiter. S’il veut quitter Boston, c’est pour retrouver son frère Tommy, dont il est sans nouvelle depuis des semaines. Cassé par le deuil de sa fille, incapable de monter des escaliers sans être essoufflé, victime de crise d’angoisse et presque sourd d’une oreille, Joël n’est pas le héros d’action qu’on a connu. C’est un homme aussi lambda que peut l’être un vétéran prêt à tout pour survivre. La fusillade finale paraît alors d’autant plus déplacée qu’elle est mise en scène de manière aussi musclée que dans le jeu, sans prendre en compte cette évolution de personnage. Heureusement, la relation entre Joël et Ellie fonctionne grâce à la très belle interprétation de Pedro Pascal et Bella Ramsey. Passé le premier épisode, on s’habitue à ces nouveaux visages. La question de la justesse du casting ne se pose plus, surtout lorsqu’on voit la ressemblance entre Ashley Johnson, la voix d’Ellie dans les jeux et cette nouvelle Ellie. La seule scène de la comédienne de doublage porte en elle une symbolique forte. En tant que mère, elle donne littéralement naissance à ce nouveau personnage qu’elle a elle-même incarné et dont elle doit maintenant passer le flambeau. L’occasion d’expliquer au passage l’immunité d’Ellie, chose dont on aurait très bien pu se passer. Les filaments buccaux des infectés sont une autre belle trouvaille, assez cauchemardesque pour nous marquer profondément, mais ce n’est malheureusement pas suffisant pour sortir la série des tares déjà présentes dans l’histoire jeu puisqu’en tout point identique. Sans réelle aspérité, le récit au demeurant efficace n’arrive jamais à dépasser ses influences (La Route, Walking Dead et Les Fils de l’Homme pour ne citer qu’eux). Il faudra attendre le deuxième opus (et donc la deuxième saison) pour voir la franchise s’en libérer avec brio.

En réalité, la série ne s’adresse pas aux admirateurs des jeux vidéo, mais aux néophytes, ces gens qui ne peuvent ou ne veulent pas toucher à ce médium qu’ils connaissent mal. Il suffit de voir les acteurs communiquer autour de la sortie des épisodes sur les réseaux sociaux. Quand Bella Ramsey parle d’un dernier épisode qui va diviser les fans, de quels fans parle-t-elle ? Les fans du jeu savent très bien de quoi il en retourne puisqu’ils ont déjà vu cette fin. Non, elles parlent des nouveaux fans de la série qui n’ont pas encore appréhendé le dilemme moral rencontré par Joël. On était en droit d’attendre plus qu’un simple recopiage de la part de Craig Mazin, même si l’on reconnaît indéniablement son style dans l’écriture. Pour Druckmann, cette sortie a aussi été l’opportunité de réaffirmer sa seule paternité sur l’œuvre, en supprimant le co-créateur Bruce Straley des crédits, malgré les protestations de l’intéressé. Cette saison donne l’impression de vouloir imbriquer toute l’expérience des jeux dans un temps trop court. Était-ce vraiment nécessaire d’insérer l’histoire du DLC ? Même si c’est intelligemment fait, les quelques bribes de dialogues abordant ces événements n’étaient-elles pas suffisantes ? N’y avait-il pas plus important à introduire ? Rien n’empêchait de reprendre les passages obligés du jeu tout en développant son propre univers. Quand les changements les plus notables qu’on peut remarquer par rapport à l’œuvre originale concerne la couleur de peau des personnages, c’est qu’il y a un problème. The Last of Us n’est pas une mauvaise série, loin de là ! Mais elle n’apporte aucune nouveauté. Les jeux ont déjà infusé toutes leurs thématiques dans les productions apocalyptiques après elles. Si on ne connaît pas l’histoire, la série peut être une bonne surprise, mais si on la connaît, pourquoi ne pas simplement rejouer aux jeux ?

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