Voyages en Italie : Trivialité amoureuse

La vie en couple comporte son lot de mystères. Pourquoi partageons-nous notre vie avec cette personne ? Est-ce que je l’aime encore ? Tiens, il n’avait pas ce grain de beauté quand je l’ai connu… Bref, plus le temps passe et plus une relation amoureuse peut devenir source de doutes qu’il faut parfois regarder en face pour éviter qu’elle ne s’embourbe. Il s’agit là d’une situation plus ou moins vécue par tous, dont la réalisatrice Sophie Letourneur s’empare pour en faire le sujet de son nouveau film Voyages en Italie, dans nos salles le 29 mars 2023.

Sophie (Sophie Letourneur) et son époux Jean-Philippe (Philippe Katerine), plus communément appelé Jean-Fi, s’attristent de voir leur couple décliner peu à peu. Les disputes et désaccords remplacent les attentions tendres et les mots doux. Refusant de se laisser abattre, Sophie décide de s’occuper du problème en organisant un voyage en Sicile seule avec Jean-Fi dans l’espoir de raviver la flamme et relancer la passion. Après son film Enorme, avec Marina Foïs et Jonathan Cohen, sur les questions de la parentalité et de la grossesse, Sophie Letourneur continue son inspection minutieuse du couple, cette fois-ci sur le déclin. La réalisatrice propose ici une autofiction qu’elle assume complètement, puisqu’elle s’inspire de son expérience personnelle et d’un voyage qu’elle a effectué en 2016 avec son compagnon. En incarnant elle-même le personnage de Sophie, elle brouille les pistes entre fiction et réalité et s’approche de la valeur proustienne d’une certaine universalité d’expérience.

Sophie Letourneur explique qu’elle a choisi d’utiliser le ton de la comédie burlesque, brillamment porté par Philippe Katerine qui semble nager dans son élément, pour rendre visible les failles de ces deux personnages dont le ridicule s’allie à la tendresse. Les dialogues sont assez cinglants et le jeu du duo quasi-omniprésent à l’écran relève d’une certaine gymnastique comique, allant des silences d’ennui aux disputes grotesques. Néanmoins, on regrette une affirmation plus forte de cette part comique, trop peu exploitée dans le film qui ne fait finalement que la survoler. Sophie Letourneur est également connue pour le choix de son esthétique assez radicale, très réaliste, parfois même presque documentaire. La caméra est mobile, l’image affiche une sorte de grain numérique rappelant les vidéos domestiques et certains personnages ne sont pas des acteurs et jouent leur propre rôle. Cette non-esthétisation du réel témoigne de la volonté de rendre hommage à la simplicité de la vie, expérience commune partagée par le spectateur et par l’équipe du film.

Malheureusement, ce sont précisément ces choix de mise en scène, une qualité d’auteur indéniable, qui font défaut au film et nous met à distance de son sujet. Par son origine autobiographique et son image non-esthétisée, le film finit par laisser le spectateur sur le pas de la porte. L’intrigue ne décolle pas, et nous assistons finalement à une succession de séquences d’un couple en vacances, sans être tenus par une quelconque tension dramatique. Non pas qu’il faille absolument déployer la grosse artillerie du divertissement, mais simplement laisser le spectateur s’impliquer un minimum dans les tribulations du couple. Sophie Letourneur écrit un film directement tiré de sa propre vie et y interprète son personnage qui lui-même s’appelle Sophie. Nous ne pouvons pas nous empêcher de déceler un certain égocentrisme de l’œuvre qui glisse un peu trop vers le « je vous raconte mon couple et mes vacances » ce qui dessert totalement la recherche d’universalité attendue par le choix de l’autofiction. Ici, la partie « fiction » est engloutie par « l’auto », n’ayant plus recours qu’à Philippe Katerine comme véritable acteur incarnant un personnage fictif. On en sort un peu frustré puisque le film affichait au départ un véritable potentiel, avec son casting réduit mais bien choisi, son pitch simple mais évocateur et son décor de carte postale.

Néanmoins, rappelons que ce manque d’identification vient au départ d’une mise en scène très personnelle et sans concession de la part de Sophie Letourneur, qui ne cède pas à la facilité en livrant un film si proche du réel. Nous devons reconnaître cette prise de risque, qui prouve qu’il existe bel et bien des auteurs au cinéma qui défendent leur point de vue même si cela implique une distance avec le spectateur. Moralité : le cinéma a ses raisons que la raison ignore.

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