Faux-Semblants : Tout pour mon frère…

Le moment est venu pour nous de vous livrer l’envers du décor. La séance Shadowz que nous tenons assidûment depuis plus de deux ans est un exercice qui nous demande une certaine rigueur. Évidemment, notre partenariat avec la plateforme nous permet de savoir à l’avance quels films vont rentrer sur le catalogue. Dans la plupart des cas il s’agit de films que nous possédons dans notre collection et que nous prenons plaisir à revoir afin de vous les conseiller vivement. Seulement, il arrive parfois que certains titres nous sont inconnus ou que nous sautions sur l’occasion afin de découvrir une œuvre qui nous faisait de l’œil depuis longtemps. Pour ces occasions précises, nous ne pouvons pas toujours prendre de l’avance et devons attendre patiemment la publication du film sur la plateforme le vendredi en fin d’après-midi. Ainsi, nous devons jongler avec notre vie professionnelle et familiale et parvenir à voir le film, l’assimiler et vous retranscrire dans ces colonnes notre avis pour le samedi matin qui suit, autant dire que c’est un exercice qui se montre cruellement rude par moment. Seulement, il nous arrive parfois de tomber sur des œuvres chocs, des mastodontes impossible à digérer en l’espace de quelques heures, si bien qu’à l’instant T où nous écrivons ces lignes, il nous est impossible d’établir une analyse que nous jugeons pertinente et arrêtée définitivement. Pour ainsi dire, Faux-Semblants fait parti de ces films du grand David Cronenberg que nous n’avions pas encore eu l’occasion de découvrir. Quel bonheur de le voir arriver sur Shadowz. Il est actuellement 23h45, le texte doit paraître dans 8h et nous n’avons aucun mot pour vous livrer une critique construite. Bienvenue dans votre séance Shadowz en mode « critique à chaud ».

Deux vrais jumeaux, Beverly et Elliot Mantle, gynécologues de renom, partagent le même appartement, la même clinique, les mêmes idées et les mêmes femmes. Un jour, une actrice célèbre vient les consulter à propos de sa stérilité. Les deux frères tombent amoureux, mais si pour Elliot elle reste une femme parmi tant d’autres, pour Beverley, elle devient LA femme. Pour la première fois les frères Mantle vont penser, sentir et agir différemment.

S’il devait y avoir un film séparant l’avant et l’après dans la filmographie de Cronenberg, pour sûr que Faux-Semblants en serait l’exact milieu. Après une première partie de carrière dans laquelle il a questionné une multitude de ses obsessions à travers la transformation des corps et une seconde dans laquelle il va les triturer encore plus et faire fusionner les chairs à foison afin d’appuyer ses questionnements, Faux-Semblants marque un vraie pause dans ses expérimentations visuelles. L’horreur de ce film est plus insidieuse. Elle se glisse comme une pensée malsaine et va grossir telle une tumeur dont on ne pourra pas se débarrasser. Faux-Semblants est empreint d’un sous-texte incestueux (une question qui taraude et jalonne plusieurs des films du réalisateur) sous couvert d’une analyse tordue du culte de la personnalité et de la gémellité. En effet, il apparaît rapidement que Beverly et Elliot vivent leur quotidien comme les deux faces d’une seule et même pièce. Ils sont interchangeables en toute circonstance, que ce soit quand l’un ne veut pas prononcer un discours devant une assemblée ou que l’autre ne veut pas opérer… Ils pensent et agissent comme un seul et unique cerveau au point de toujours anticiper les réactions de l’autre. D’une similarité confondante, les jumeaux possèdent, toutefois, des signes très distinctifs au niveau de leur caractère. Et c’est à travers ces traits de personnalité que Cronenberg s’amuse à brouiller les pistes petit à petit. Plus l’histoire va sombrer dans le chaos, plus il sera difficile de se repérer dans le temps, l’espace et la réalité. Tout l’enjeu de Faux-Semblants ne réside pas en la recherche du vraisemblable (une carte que ne jouait presque jamais notre cher David à l’époque), mais bien dans sa dimension psychanalytique où il en ira de votre propre culture et/ou vécu afin d’y dénicher les nombreuses clés cachées.

Avec Faux-Semblants, Cronenberg convoque autant le cinéma de Bergman que les théories de Freud sur ses analyses de l’amour incestueux. S’il est évidemment question d’amour, ce qui intéresse le réalisateur réside en l’aspect destructeur de ce sentiment. La destruction se répercute d’abord dans la sphère professionnelle. Frères précoces et doués dans leur domaine, l’excellence ne devient sublime que lorsqu’elle s’en retrouve mutilée. Beverly sera l’instigateur de cette déchéance et mettra à mal sa propre rigueur en déstructurant tous les biens-fondés de sa science quand Elliot s’acharnera à faire bonne figure et à rattraper les erreurs de son frère. Ensuite, il y a l’amour au sens charnel du terme. Elliot, d’un naturel sûr de lui, se vante d’enchaîner les conquêtes et se complaît dans son rôle de « testeur ». Il profite de la timidité de son frère afin de juger quelle femme méritera sa douceur et laquelle n’en vaut pas le coup. Il ira même jusqu’au se congratuler auprès de son frère que si ce dernier n’est plus puceau, c’est grâce à lui. Le sexe est un vecteur important chez Cronenberg, il est le moteur de bien des conflits et des résolutions également. Seulement, le sexe se substitue rapidement face au vrai cœur du sujet étudié par son réalisateur puisqu’il y propose ici une analyse de l’amour fraternel avant tout. Jusqu’où cet amour peut se montrer beau avant de basculer vers une totale perdition ? C’est justement cette bascule que met en scène David Cronenberg. Afin d’y arriver, il exploite l’immense talent de Jeremy Irons qui se meut à merveille dans ce double-rôle. L’acteur entre merveilleusement dans la peau de ces deux alter-ego. Il brouille les pistes, parvient à nous perdre, au point que, souvent, nous ne savons plus en face de quel personnage nous nous trouvons. Rassembler deux entités bien distinctes dans le corps d’une seule et même personne sera la quête définitive du récit, ce qui lui permet de rebondir parfaitement sur les thèmes chers au réalisateur : la corruption de la chair par la complexité de la psyché. Que de questions soulevées pour une critique qui n’en aborde qu’une infime partie car Faux-Semblants mérite qu’on y revienne plusieurs fois et un papier dix fois plus long que celui-ci pour en extraire toute sa substantifique moelle.

Sans vous dévoiler le fin mot de l’histoire (que nous n’avons pas encore complètement solutionné à l’heure actuelle, pour tout vous avouer, il est actuellement 1h00 du matin et il serait temps pour nous d’aller nous coucher), Faux-Semblants est un film riche, puissant et remplit de métaphores à vous en faire tourner la tête. David Cronenberg s’offre un instant de poésie crépusculaire particulièrement dense et annonciateur d’une seconde partie de carrière qui offrira de gros morceaux de cinéma par la suite. Faux-Semblants est un film exigeant qui n’est clairement pas adressé aux néophytes du réalisateur mais qui est un indispensable pour quiconque souhaite comprendre et décrypter les obsessions de son auteur. Un film incroyablement complexe qui doit énormément à la simplicité de sa mise en scène et au talent de Jeremy Irons qui y trouve l’un de ses meilleurs rôles.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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