Nayola : Une animation sublime et incarnée

Nayola, le premier long métrage d’animation de José Miguel Ribeiro sort le mercredi 8 mars 2023 sur nos écrans. Il nous raconte avec une maestria visuelle de tous les instants les destinées de trois générations de femmes se débattant dans le maelstrom d’une guerre civile.

José Miguel Ribeiro et Ana Carina Estroia ont fondé Praça Filmes en 2012 : cette société se concentre sur la production d’œuvres originales par des cinéastes d’animation engagés sur des sujets humains, sociaux, politiques et écologiques. Le court Fragments, réalisé par José Miguel Ribeiro, a été sélectionné dans la compétition officielle de Locarno 2016 et a remporté le prix du meilleur documentaire à Clermont-Ferrand 2017. Impressionné par la pièce de théâtre de Eduardo Agualusa et de Mia Couto A Caixa preta ou The Black Box, il décide de l’adapter en long métrage. La gageure (réussie) est de passer du huis-clos d’une pièce à un récit en montage alterné retraçant les destins de trois générations de femmes dans une guerre civile de 25 ans : Lelena (la grand-mère), Nayola (la fille) et Yara (la petite-fille). Les temporalités se confondent et les motifs se font écho, sans jamais perdre le spectateur envouté, au service d’une histoire à la dimension aussi mythologique que satirico-réaliste. Les raccords sont particulièrement inventifs et signifiants, tel celui entre les tirs des armes et les soubresauts d’une machine à coudre, métaphorique d’un monde à recréer.

Peu de films d’animation évoquant l’Afrique nous parviennent et ils sont généralement occidentaux. Walt Disney évidemment a façonné un imaginaire collectif avec au premier chef l’aristocratique Le Roi lion (1994, Roger Allers et Rob Minkoff ) plus que fortement inspiré du Roi Léo d’Osamu Tezuka : nous retrouverons d’ailleurs des hyènes bien plus véritables que la vilaine caractérisation qui les a vouées à l’abomination. N’oublions pas le français Kirikou de Michel Ocelot dans Kirikou et la sorcière (1998) et ses suites. Plus récemment, sur Netflix, la série Tales of Africa met en scène des contes. Notons tout de même ce petit bijou venu de la République démocratique du Congo, le conte en stop-motion Prince Loseno (2005, Kibushi Ndjate Wooto). Mais sur des sujets aussi graves que les conflits meurtriers, évoqués magistralement en animation au sujet d’autres continents dans Valse avec Bachir (2008, Ari Folman), Chris the swiss (2018, Anja Kofmel), My Favorite War (2020, Ilze Burkovska Jacobsen) ou, référence ultime, Le Tombeau des lucioles (1988, Isao Takahata), on attendait un masterpiece qu’est Nayola.


Le trio sororal a bénéficié d’un grand soin dans le chara design (la grand-mère par exemple évoquant irrésistiblement le soleil dispensateur de chaleur par les couleurs chatoyantes de sa robe et une maternité fécondante autant que résiliente par ses formes et activités). Leur caractérisation est liée aux types de lutte qu’elles incarnent : la résistance passive teintée d’optimisme pour Lelena, le combat courageux contre l’oppresseur par les armes pour Nayola, la subversion par l’art à même d’inspirer les contemporains pour Yara, la rappeuse engagée.  Une incroyable authenticité innerve la diégèse, le réalisateur et son équipe ayant consacré beaucoup de temps pour trouver les acteurs principaux et « sentir leur rythme, connaître leur histoire, leur manière de parler, leurs langues ancestrales et laisser toute cette vérité entrer dans le film » (José Miguel Ribeiro, dossier de presse ; voir aussi notre interview). Ce souci de respect de la culture angolaise est aussi manifeste pour tout ce qui relève du mysticisme, le design des masques entre autres (même s’il y a l’influence d’un certain Hayao Miyazaki et du Voyage de Chihiro de 2001…).


La guerre civile angolaise est au cœur du récit. A travers sa représentation, c’est l’universalité des conflits ravageant des générations, allégoriquement représentée par les trois femmes, qui est mise en images. Cette dénonciation s’appuie sur des scènes frontales de massacres et de répression, mais s’inscrit aussi et surtout dans une atmosphère onirique et fantastique poétisant un réel dans lequel pourtant se déchaîne la folie des hommes avec tout ce qu’elle a de plus morbide. Pour citer un exemple de la première approche, une scène extraordinaire de face à face entre de frêles créatures, dont Nayola, et un avion évoque, plus que le célébrissime La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock (1959), un passage du Requiem pour un massacre d’Elem Klimov (1985). Dans le fracas assourdissant meurtrissant ce qui a tout d’un environnement édénique, l’innocence survit à la terreur venue du ciel, la mise en scène et le travail sonore immergeant le spectateur avec une maestria inouïe. Par une contre-plongée s’effectue la marche des survivants et le bazooka est le moyen de la délivrance, signe précurseur d’une élévation mystique que permettra le voyage de l’héroïne.

Si le réel prend des airs de cauchemar éveillé, de nombreux rêves émaillent le récit, comme autant de respirations inspirées, d’échappées magiques et prémonitoires, de réminiscences enfouies se libérant : dès le début du métrage, une course-poursuite s’opérant par un travelling haletant nous immerge dans un climat délétère où l’homme n’est qu’un loup pour l’homme, sans qu’il soit possible de distinguer le réel du métaphorique, dans une vision qui saisit d’emblée par sa maîtrise artistique. Ribeiro a une formation en arts plastiques et c’est peu de dire que cela transparaît à l’écran. Les choix de couleurs sont d’une grande pertinence pour évoquer ce qui se trame et se marie merveilleusement aux alternances d’ambiance entre horreur et émerveillement. On retrouve aussi bien des passages citant Matisse et ses danses que Van Gogh et ses paysages ; les influences picturales oscillent avec fluidité de l’impressionnisme au fauvisme.

Nayola est donc un film d’animation magistral, autant du fait de son esthétique très aboutie, que de sa trame à la fois profonde et bouleversante.

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