Sauvée Par Amour : Red Love Redemption

Il arrive parfois, dans la carrière d’un réalisateur, qu’un projet sorte du lot. Une sortie de route souvent remarquée (en bien comme en mal) qui braque les projecteurs sur l’artiste et qui nous amène souvent à le reconsidérer. Pourquoi propose-t-il un tel projet ? Quels indices pouvaient être disséminés dans ses œuvres précédentes afin de nous guider vers celui-ci ? Pouvions-nous deviner que James Wan s’essayerait au blockbuster testostéroné avec Fast & Furious 7 ? Quelles sont les attentes lorsque Kevin Smith, adepte des comédies indépendantes, annonce qu’il planche sur une série de films d’horreur lorsqu’il prépare Red State et Tusk ? C’est à peu près avec le même état d’esprit que nous avons abordé Sauvée Par Amour. Si son réalisateur, D.J. Caruso, ne parlera qu’aux adeptes de thrillers mineurs (Salton Sea, Taking Lives, L’œil du Mal) ou de films d’action de seconde zone (Numéro Quatre, xXx Reactivated), il est de ces auteurs qu’on aime retrouver de temps à autre, un peu comme votre tonton Roger un brin limite que vous ne voyez qu’une fois par an mais avec qui vous passez un bon moment malgré tout. Voir D.J. Caruso se lancer dans l’adaptation du roman de Francine Rivers, Redeeming Love, c’est un peu comme Michel Houellebecq qui tourne dans un film pornographique : c’est inhabituel, à première vue foncièrement dégueulasse, mais diablement intrigant.

Californie, 1850. Vendue à la prostitution lorsqu’elle était enfant, Angel ne connaît que la trahison. Après des années de violence, de dégoût de soi-même et de mépris, elle rencontre Michael Hosea. Pour la première fois, Angel entrevoit un chemin de rédemption. Mais ses vieux démons ne tardent pas à resurgir.

Distribué par Saje (une société de distribution spécialisée dans les films religieux), on se retrouve immédiatement en terrain connu lorsque nous abordons Sauvée Par Amour. Nous savons d’emblée qu’il y sera question de romance, de catharsis religieuse et de deus ex machina forcés pour mieux faire couler les larmes. Pourtant, difficile de ne pas apprécier un tant soit peu le projet tant il s’y dégage une ferveur incandescente pour pousser la mise en scène vers une qualité certaine. Ce n’est certainement pas le meilleur film en la matière, mais il n’est clairement pas non plus parmi les plus mauvais. D.J. Caruso propose un film honnête, solidement travaillé et au rythme soutenu en dépit des innombrables défauts à pointer du doigt. En vrac : le film tourne inutilement en rond et peut sacrifier une bonne vingtaine de minutes sans soucis, l’aspect religieux est aussi forcé que mal traité et les acteurs sont trop propres. Où sont passées la poussière et la sueur ? La transposition à l’image d’un dur labeur inhérent à cette époque doit pouvoir se lire sur les visages et les vêtements des personnages. Quelques broutilles qui, mises bout à bout, rallongent une liste de défauts qui pourraient vous rebuter à l’idée de vous lancer dans la lecture de Sauvée Par Amour, et pourtant, vous risqueriez de passer à côté d’un film honnêtement délivré. Parce que ce qui fait pencher l’appréciation du film vers le côté positif provient justement de son honnêteté. D.J. Caruso aborde des sujets difficiles à retranscrire à l’écran (la pédophilie et la prostitution de mineurs notamment) sans jamais tomber dans un voyeurisme abject. De plus, son film ne se prive pas pour tailler un costard sévèrement exécrable à tout un pan d’une pensée masculiniste (sujet bien ancré dans l’actualité en somme). Bien sûr, tout est envoyé avec de gros sabots puisque seuls les hommes ayant la foi se montrent dignes d’un intérêt quelconque aux yeux de son réalisateur, mais n’oublions pas que c’est cette même foi qui va guider l’ensemble des résolutions dans le film.

Il y a un vrai problème à savoir créer de vrais enjeux (possible que le film ne fait que calquer le roman) puisqu’il ne peut s’empêcher de toujours ramener Angel à son point de départ afin de débloquer les situations. Voilà pourquoi nous parlions de deus ex machina forcés puisqu’il aurait été plus judicieux (et difficile à la fois) d’isoler Angel dans la ferme de Michael et de penser à comment inviter ses démons du passé à s’introduire au cœur de ce cocon plutôt que de la ramener sans cesse vers la ville afin de débloquer les enjeux. Là réside tout le paradoxe de ce film : on ne peut s’empêcher de pointer ses défauts, mais on apprécie tout de même le moment passé devant. D.J. Caruso insuffle du dynamisme à sa mise en scène ; il jongle habilement entre les moments présents et les flashbacks afin de ne jamais perdre le spectateur dans sa compréhension de l’état psychologique de Angel. C’est elle qui guide l’histoire, celle par qui tous les événements se produisent. Abigail Cowen est une révélation. Âgée de 22 ans au moment du tournage, elle porte habilement le passé tortueux et terriblement rempli de son personnage. Sous son visage angélique, elle cache de nombreuses fêlures que l’on découvre avec parcimonie et ses choix, discutables, se révèlent souvent être les bons. Mention spéciale pour la séquence dans le théâtre où quelques lignes de dialogues minutieusement choisies lui permettent de faire voler sa carapace et d’enfin expier la dureté de son passé. Le personnage de Angel est clairement la valeur sûre du projet. C’est elle qui mène la danse, elle est la seule à pouvoir décider de comment le film et son histoire doivent se terminer. Une prestation admirable qui l’emporte sur absolument tout et qui confère à Sauvée Par Amour un statut de solide divertissement qui a de jolis messages à apporter derrière la noirceur de ses images.

Sauvée Par Amour est un film qui ne paye pas de mine sur le papier, qui possède de nombreux défauts, mais qui gagne en estime par l’honnêteté du travail accompli. En dépit d’un scénario aux ficelles bien trop grosses pour qu’on y croit complètement, le film se sauve par la prestation habitée de Abigail Cowen qui porte littéralement l’ensemble du film sur ses épaules. Soulignons également une direction artistique solide et (trop) propre ainsi que l’audace d’oser aborder frontalement des sujets extrêmement périlleux avec une justesse maîtrisée. Si Sauvée Par Amour représente la plus grande sortie de route de D.J. Caruso à ce jour, gageons de lui envoyer tous nos encouragements car il a véritablement de belles choses à creuser sur cette voie-ci.

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