Si tu es un homme : L’enfance fracassée à coups de burins

Un jeune adolescent du Burkina-Faso mène une existence de forçat, avec pour seul salaire des sacs de cailloux. Intégrer une formation professionnelle en soudure est sa seule échappatoire. Mais à quel prix ? Si tu es un homme, le documentaire saisissant de Simon Panay, sort le 1er mars 2023.

Rares sont les documentaires retraçant des destins africains qui parviennent à trouver la voie de nos salles. En 2021 était sorti Gogo de Pascal Plisson, retraçant la tardive scolarité d’une arrière-grand-mère kenyane de 94 ans qui veut réussir son examen de fin de primaire et guider les filles et femme vers l’émancipation par le savoir. Le fabuleux et terrifiant Welcome to Sodom de Christian Khrönes et Florian Weigensamer (2018) qui dévoilait Agbogbloshie au Ghana, l’un des lieux les plus toxiques de la planète, la plus grande décharge électronique au monde, bien que présent dans plusieurs festivals, n’a pas eu cette opportunité.  Travailleur de la mine d’or de Perkoa, Opio, 13 ans, est à la croisée des chemins entre une vie de labeur souterrain et la possibilité d’une émancipation par le savoir. Mais s’élever passe par une plongée dans le gouffre…Celui qui nous permet de partager les affres d’Opio est Simon Panay, qui a déjà réalisé quatre court-métrages documentaires en Afrique de l’Ouest. Son dernier, Ici, Personne ne Meurt, tourné dans une mine illégale du Bénin, a été projeté dans 71 pays et a remporté 133 prix en festivals. Il connaît donc parfaitement son sujet, mais a choisi de s’effacer : seuls quelques textes éclaireront le spectateur, la représentation du quotidien du mineur étant d’une puissance visuelle et sonore à même de pallier toutes nos carences cognitives.

Opio est surnommé « le courageux ». Sa vertu est manifeste dès les premières images : nous le suivons, dans le capharnaüm qu’est son environnement, grâce à un traveling d’accompagnement de dos. Sa détermination est évidente, il a ses repères, il connait tous les rouages de la machine qui le broie lui et tous les autres. Il lutte à sa façon, mutique pour l’essentiel (même s’il y a parfois sa voix off), mais avec un regard qui ne se résigne pas, qui aspire à un Eden doré. Le jaune plus ou moins vif est en effet omniprésent et prend une valeur allégorique : jaune de son vêtement de futur canari des mines, jaune de l’or, ce métal qui réaliserait tous les vœux, jaune de ce soleil qui s’offre à tous en contraste avec les ténèbres où l’on doit s’enfoncer, jaune du feu qui réchauffe les cœurs lors des repas nocturnes, oasis d’allégresse dans un désert asphyxiant. On songe fortement à la formidable et tout aussi courageuse Sili (13 ans également) de La Petite Vendeuse de soleil de Djibril Diop Mambety (1999).

Lors de la plongée dans le gouffre, 250 mètres sous terre, c’est à une autre petite fille que l’on songe : Penny des Aventures de Bernard et Bianca (1977). Le regard terrorisé de l’enfant a laissé la place à celui horrifié de l’adulte incrédule face à l’intolérable injonction d’un système « médusien » envoyant des enfants en Enfer pour maximiser des profits dont ils n’auront que des miettes, pardon des cailloux. Germinal au XXIe siècle…L’aspect écrasant de ces conditions est souligné par des variations de profondeur de champ, d’angles de vue, entre lentes plongées dans le trou contrastant avec l’immensité désertique vue du ciel et contre-plongées de caméra embarquée depuis le moyen de transport d’un Opio chantonnant au cours de la descente, dérisoire répit avant le fracas des burins et la mécanique de la répétition. Ce temps dans les cavernes devient une vision mythique, un cauchemar éveillé dans les Enfers miniers alors que le ralenti et la résonnance évoquent des Vulcain devenus Sisyphe, soumis qu’ils sont à une fatalité cyclique, ce qu’illustrera la similitude entre les images qui ouvrent et ferment le métrage.

Hors de la mine, peu de motifs de réjouissance malheureusement. Ce qui s’impose est la négation de l’enfance. Opio se retrouve confronté à des interlocuteurs qui le réduisent à des considérations pragmatiques. Ni insouciance, ni futilités, sauf quelques rafraichissantes scènes de baignade ou une balançoire improvisée sur un arbre décharné. Pour Opio qui ne sait ni lire, ni écrire, pas de Pygmalion à l’horizon. Le plus grand sacrifice familial sera constitué de deux poules contre des fournitures certes, mais aussi de la boisson. Face aux reproches, on nous le montre tournant le dos à ses parents, aussi incapable de leur répondre que de se rebeller et tapant machinalement ses cailloux. L’enfance a été démolie, les rêves brisés sur les parois de métaux dont l’or n’est qu’un reflet trompeur.

Si tu es un homme est un documentaire édifiant sur le sort imposé à une jeunesse. Il doit être vu par toutes les personnes qui souhaitent ouvrir les yeux et bénéficier de l’expérience d’un réalisateur qui a su montrer l’indicible avec pudeur et expressivité.

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