Last Dance : rencontre avec la réalisatrice Coline Abert

A l’occasion de la sortie du film Last Dance, le mercredi 22 février, nous avons rencontré la réalisatrice Coline Abert. Elle revient sur la genèse du documentaire et ses choix esthétiques.

Bonjour Coline Abert. Nous avons beaucoup aimé votre film. Forcément, quand on évoque les drag queens, on pense à Rupaul Drag Race. Mais votre documentaire met en avant une autre facette de cet univers : qu’est-ce qui vous a attirée et en quoi éventuellement votre vision a-t-elle changé ?

Je connaissais Paris is burning et j’avais vu pas mal de documentaires sur ce sujet-là. J’étais assez attirée par ce milieu-là. J’ai eu envie de filmer ça parce que pour moi, c’était une façon de questionner la norme et de questionner le genre. Rupaul Drag Race finalement c’est un peu formaté et il a fallu du temps pour que les femmes puissent performer comme drag queens. La communauté de New Orleans, c’était moins lisse, moins normé et ça m’intéressait, comme aussi une question de comment on représente le corps, quel genre de corps on montre. Ce qu’il était important pour moi de montrer, c’était ce qui est hors des canons de beauté attendus, sortir des sentiers battus, de l’image ultra glamour, strass et paillettes.

Vince, il a quand même une très forte personnalité : comment avez-vous fait connaissance ? A-t-il été facile d’obtenir son accord ? Vous a-t-il laissé carte blanche ?

Il s’est passé une sorte de coup de foudre : on s’est tout de suite très bien entendus. Tout de suite, il m’a laissé entrer à l’école, il m’a laissé le suivre. Ça a été plus compliqué d’aller filmer dans sa famille, ça a pris un peu plus de temps pour rencontrer son fils, pour qu’il accepte qu’on voit les scènes d’intimité. Comme on a tourné pendant longtemps, il y a eu un rapport de confiance qui s’installait progressivement. J’étais plus dans l’idée de ne pas être intrusive : c’est toujours compliqué quand on fait du documentaire de savoir si on est intrusif ou pas, à quel moment « pousser » un peu ; dans cette démarche-là, je me disais qu’il allait finir par me donner des choses.

Ça a dû être une gageure au niveau du montage : 3 ans de suivi, 200 heures de rushes et Vince vous a fourni 100 heures d’archives personnelles… Du coup, qu’est ce qui a présidé au montage ? Il y a beaucoup d’alternance entre des scènes intimes et des scènes de spectacle, même s’il n’y a évidemment aucune étanchéité, mais une interpénétration. Il y beaucoup d’authenticité, contrairement à certaines idées reçues de frivolité et de superficialité.

J’avais envie de suivre Vince, raconter son histoire. Je pense qu’en fait le fil conducteur qu’on a toujours eu dans le film, c’était vraiment ça, le suivre lui et raconter sa trajectoire émotionnelle. A partir de ça, on a mis le reste autour, on a mis les scènes avec les personnages secondaires. Mais vraiment la colonne vertébrale, c’était lui.

C’est vrai qu’il y a toute une galerie de personnages qu’on a envie de découvrir. J’ai lu d’ailleurs que malheureusement l’école avait dû fermer à cause des soucis financiers liés au COVID.

Oui, j’aimais beaucoup Franky Canga : c’est un de ceux qui viennent à Paris. J’adore Fauxnique aussi. Parmi ceux de l’atelier, les nouveaux, il y en a qui qui s’en sortent bien aujourd’hui. Mais c’est vrai que ça a été compliqué de choisir les personnages : c’était toujours un peu se couper la jambe ou le bras, mais à un moment je préférais faire un film plus court. Ils sont tous venus pour des raisons différentes, ça va totalement contre l’idée d’uniformité, même s’il y a souvent des traumas liés à tout ce qu’on peut subir dans la communauté LGBT. Dans l’atelier, on a quand même une certaine diversité : des hommes et des femmes de tous horizons. Je pense que l’identité et la norme peuvent être un poids, du coup ceux qui venaient là avaient tous envie d’explorer leur part féminine ou masculine, quelle que soit leur sexualité.

Adolescent, j’avais été marqué par Torch Song Trilogy avec Harvey Fierstein et Matthew Broderick. Avez-vous eu des références cinéphiliques qui ont présidé à votre présentation du milieu du drag et à vos choix de mise en scène ? Il y a notamment plusieurs passages de cauchemar éveillé pour évoquer les angoisses de Vince.

Paradoxalement, j’étais influencée par beaucoup de science-fiction et de fantastique : il y avait vraiment cette idée d’explorer une métamorphose, de mettre en images la transformation. J’étais vraiment sur cette idée d’explorer les limites et on avait fait par exemple une séance d’hypnose avec un hypnotiseur qui le ramenait dans ses vies passées. C’est des discussions avec la monteuse qui nous ont fait pousser cette exploration des liens entre réel et cauchemar. C’était très complémentaire avec les images d’archives, d’autant plus que Vince travaille quand même bien ses textes !

Comment s’est déroulé le tournage à Paris, ville de la dernière performance de Lady Vinsantos ?

Ils ont beaucoup aimé, je crois : ça reste une expérience exceptionnelle pour eux, un rêve, je pense ; en tout cas pour Vincent c’était un rêve d’enfant. Il y avait des personnes qui n’étaient jamais sorties des États-Unis ! C’était vraiment l’apothéose et c’est vrai que leur spectacle… j’étais époustouflée ! On a eu des problèmes avec les droits musicaux  et j’ai des regrets sur le show final, j’aurais voulu qu’on reste avec eux dans les performances encore davantage.

Merci Coline Abert !

Merci à vous.

Propos recueillis par Nicolas Levacher le 1er février 2023 dans les locaux de Condor, Paris 8ème arrondissement. Un grand merci à Coline Abert et Claire Viroulaud de Ciné-sud promotion d’avoir pu permettre la réalisation de cet entretien.

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