Last Dance : Dans les entrechats d’une diva flamboyante

Le documentaire Last Dance, qui sort ce mercredi 22 février, nous fait partager plusieurs années de l’activité scénique, des cours dans l’atelier et de l’intimité d’un personnage haut en couleur. S’établit alors un portrait tout en nuances d’un artiste qui se livre sans fard.

Vince, alias Lady Vinsantos, est une drag queen emblématique de la Nouvelle Orléans, dans laquelle il a fondé sa propre école. Pour Vince, le drag est un art, un acte politique qui fait bouger les représentations, en aucun cas une activité vaine et sans profondeur. Néanmoins, après 30 ans de carrière, Vince est las de ce personnage qui a pris le contrôle de sa vie, qui devient un autre carcan. Il envisage donc de dire adieu à Lady Vinsantos après avoir réalisé le rêve de toute une vie : un dernier show à Paris. Celle qui l’accompagne pour mettre en lumières le crépuscule d’une carrière est Coline Abert, une scénariste et réalisatrice française qui a commencé sa carrière en tant qu’assistante et consultante au côté de Serge Lalou des Films d’ici ainsi qu’en freelance sur des documentaires tels que le sublime Sel de la terre de Wim Wenders. Le tournage a pris trois ans, trois ans d’une entente miraculeuse, source féconde de moments précieux à immortaliser (et le choix fut drastique, avec 200 heures de rush et 100 heures d’archives personnelles).

Coline Abert, comme elle l’explique dans l’interview qu’elle nous a accordée, s’intéresse à la question de la norme, du formatage en général et du genre en particulier. Inspirée par ce documentaire essentiel sur le voguing new-yorkais qu’est Paris is burning (Jennie Livingston, 1990), elle désire dévoiler une autre facette de l’univers des drag queens que celle aujourd’hui ultramédiatisé, voire mainstream, issu de l’émission Rupaul Drag Race (avec de récentes déclinaisons en France et, depuis quelques jours, en Belgique). On est ainsi invités à partager de truculentes séances d’ateliers où des apprentis drag extrêmement divers explorent les territoires encore vierges de leur féminité ou de leur masculinité, acceptent progressivement de se dévoiler et créer des persona issues de leurs vécus (souvent marqués par des traumas liés à l’intolérance haineuse). Le professeur en est donc l’illustre Vince/ Lady Vinsantos : derrière un faciès parfois bougon, toute son empathie pour ses protégés est manifeste par ses plaisanteries, ses gestes, ses conseils précieux de sage gardienne du temple drag. D’autres drag queens très talentueuses nous sont présentées : Fauxnique, Franky Canga, Neon Burgundy, Tarah Cards…Toutes ont créé leur propre esthétique, leur propres références et leur performances sont d’une intensité émotionnelle propre à balayer toutes les accusations de superficialité et de frivolité que d’aucuns peu experts leur accolent bien trop facilement.

Mais c’est surtout aux côtés de Vince que nous passons le plus clair du documentaire. Il a pleinement confiance en la réalisatrice et n’a pas peur de dévoiler ses failles, d’exposer ses angoisses, en particulier celles liées à toute la préparation d’un spectacle qui revêt pour lui une importance quasi-mystique. Ce sera son dernier et, même quand on a une telle carrière derrière soi, le cruel « Inner saboteur », cette petite voix qui vous susurre que décidément vous ne valez rien et que personne ne peut vous aimer, est toujours à l’affut, ne vous laissant que l’enfouissement sous la couette comme expectative. Heureusement, Vince peut compter sur son ami, toujours prompt à le secouer, sur sa famille qui est bienveillante. Nous avons le privilège d’assister à de nombreux moments intimes touchants et souvent drôles (avec un chien chantant par exemple !). Les doutes de Vince sont ingénieusement mis en scène dans des passages quasi-expérimentaux, où sa voix se superpose à des images d’archives, dans une atmosphère onirique et intrigante.

Alors, qu’est cette Last Dance ? Expression que, dans le domaine musical, l’on peut aussi bien retrouver chez Donna Summer que chez Kio ou Indila, elle est aussi incluse dans le titre de Magic Mike 3 qui sort cette année. Sous un autre angle, moins anecdotique et plus allégorique, on peut songer aux danses macabres, aux derniers trémoussements désarticulés avant les soubresauts de l’agonie. Ici, ce sera celle de Lady Visantos, au cours d’une séquence qui évoque fortement le mythe du Phénix. Vince désire renaître, se libérer des chaînes qu’il s’est pourtant choisies, mais qui sont devenues bien pesantes. Tout son cheminement nous aura été présenté avec une bienveillance de toutes les minutes et une certaine fascination que nous partageons.
Last Dance est ainsi un très bel écrin pour recueillir les dernières années étincelantes d’une drag queen, dont les doutes et les convictions sont tout ce qu’il y a de plus universel.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*