Chevalier noir : Une odyssée fraternelle réjouissante

Iman et son jeune frère Payar vivent avec leur père dans un quartier du nord de Téhéran,  leur mère n’étant plus de ce monde. Iman étouffe dans le carcan familial et tente d’échapper à sa condition en ayant recours au trafic de stupéfiants qu’il met en place grâce à ses relations avec la jeunesse dorée de Téhéran. Mais, coïncidences ou fatalités, de nombreux écueils vont se dresser, impactant les vies de ses proches. Le film qui nous embarque avec vigueur aux côtés des ses attachants protagonistes, sort le 22 février 2023.

Chevalier noir (A Tale of Shemroon) est le premier long métrage d’Emad Aleebrahim Dehkordi qui vit et travaille entre la France et l’Iran. Diplômé du Fresnoy-Studio national d’arts contemporains. Il a réalisé deux courts-métrages de fiction, Lower Heaven (2017) et Cavalière (2020), sélectionnés notamment aux festivals de Toronto, Clermont-Ferrand, FIFIB, Premiers Plans Angers, Winterthur, Mecal and Bucharest. Chevalier Noir a été sélectionné au Festival de San Sebastian 2022 (New Directors), Mannheim-Heidelberg 2022, et Angers Premiers Plans 2023. Il a remporté l’Étoile d’Or au Festival de Marrakech 2022.

Comme l’indiquent le titre original et le titre français, bien que narrant des péripéties dans un chronotope contemporain, le métrage arbore clairement une dimension de conte et de récit de chevalerie (le réalisateur s’est inspiré de la mythologie perse, Le Shahanâmé – Le Livre des Rois), avec tout ce que cela génère d’universel, mais un universel formidablement incarné. Iman, Iman Sayad Borhani, et Payar, Payar Allahyari, sont deux frères d’armes d’une crédibilité totale. Leur relation teintée d’humour et de tendresse dans un monde de brutes fascine et émeut le spectateur qui craint à tout moment que cela ne dégénère. En effet, le duo est antithétique, sans être jamais caricatural: Iman est une sorte de chevalier déchu, de ronin prêt à tous les expédients pour survivre, alors que Payar est le preux et innocent apte à trouver le Graal, tout en étant un combattant hors pair. Alors évidemment, grand est le risque que les actions du premier entraînent des dégats collatéraux sur le second, et c’est peu dire que l’on vibre à l’unisson de cette fraternité superbement interprétée. Hanna, Masoumeh Beygi, est une sorte de double du réalisateur, amie d’enfance revenant de France pour quelques jours avec son fils. Elle est aussi la dame à conquérir, la liberté de ton et d’attitude illuminant le quotidien de Payar, cloitré qu’il est dans un environnement urbain austère et désolé. Le père, Behzad Dorani, s’apparente à un noble sans terre, un hobereau ayant tout perdu, dont la passivité exaspère le fils ainé, mais auquel le traitement au cours du film apportera une coloration pathétique émouvante.

Mais c’est surtout le registre tragique qui domine tout le métrage. A de nombreuses reprises, il nous est rappelé que la moto n’est qu’un destrier maudit. Toute la question est donc de savoir vers quelle perdition elle va transporter nos héros chevaleresques. Comme dans toute tragédie, il y a eu avertissement, décret du ciel pour mettre en garde, éviter l’hubris qui a frappé Icare ou Bellérophon. Il prend la forme, dans une séquence nocturne époustouflante au cours de laquelle Iman roule plein gaz, d’un oiseau percuté de plein fouet par le véhicule damné. Il s’agit d’une référence au mythique Simorgh, symbole de prospérité, figure protectrice et bénéfique dont la mort ne peut que signifier qu’il ne faut pas s’engager plus avant sur la voie sans issue des trafics et malversations. Mais même ensanglanté, Iman ne veut pas comprendre et l’un des enjeux narratifs est justement sa prise de conscience qui seule pourra permettre une envolée et un rapprochement entre des proches blessés.

Et c’est peu dire que la mise en scène sert admirablement le propos. Elle fait corps avec les personnages : les séquences avec Iman sont tout en mouvements, très immersives. On retiendra, outre la scène d’accident en vue subjective mentionnée supra, une hallucinante scène de trip sensoriel dans la voiture d’un jeune des beaux quartiers où tous les sens sont saturés pour faire partager aux spectateurs l’ivresse extatique des deux hommes. De manière générale, et ce dès la scène d’introduction, Iman est celui qui bouge en permanence, qui se permet toutes les effractions, qu’aucune porte ne peut immobiliser. Payar évolue dans une mise en scène plus statique, y compris dans des scènes de véhicule contrastant avec celles de son frères: il veut s’adapter sans franchir les limites imposées, il aspire à un bonheur plus tranquille. Ils incarnent les deux choix qui s’offrirent à Achille, entre vie trépidante au risque d’être éphémère et situation stable, mais sans éclat.

Chevalier noir est un film qui nous immerge sans discontinuité dans un univers contemporain teinté de fantastique, qui nous entraîne sans la moindre réticence à vivre intensément les aléas de personnages dont l’authenticité nous prend aux tripes.

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