Big Guns (Tony Arzenta) : Le spleen et la vendetta

La Saint-Valentin… Le moment parfait pour sortir en amoureux et redécouvrir un classique du cinéma italien qui ressortira dans nos salles le 15 février. Big Guns (dont le titre original est Tony Arzenta) a pour tête d’affiche le charismatique Alain Delon en pleine force de l’âge. En effet, l’acteur français a aussi séduit les italiens tout au long de sa carrière : Rocco et ses frères (Visconti, 1960) L’Eclipse (Antonioni, 1962), Le Guépard (Visconti, 1963), Le Professeur (Zurlini, 1972). Il semble que l’Italie représente une véritable patrie d’adoption pour cet Apollon sculptural, qui revient cette fois-ci devant la caméra de Duccio Tessari pour un film de vengeance datant de 1973, au sein de la mafia sicilienne.

BIG GUNS © 1973 – PATHE FILMS – MONDIAL TELEVISIONE FILM

Tony Arzenta (Alain Delon) est un tueur à gage méthodique au service du parrain sicilien Nick Gusto (Richard Conte). Lorsque Tony, son meilleur « employé » lui annonce qu’il décide d’arrêter ce travail pour se consacrer à sa famille et élever son fils loin de la violence, Gusto réunit les autres pontes pour décider de son sort. La règle du monde criminel étant inviolable, Tony doit mourir. Mais une regrettable erreur coûte la vie de la femme et du fils unique du tueur à gage alors qu’il était le seul visé par la mafia. Consumé par la rage, Tony se lance dans une vengeance sanglante contre les assassins de sa famille. A priori il s’agit là d’une histoire de vengeance assez conventionnelle, le tout dans un univers mafieux que l’on connaît bien au cinéma et qui demeure une sorte d’institution encore aujourd’hui. Ce film remplit donc toutes les cases pour passer inaperçu dans le flot de propositions existantes sur ce thème très prolifique. Néanmoins, les choix de mise en scène de Tessari rompent avec la tradition et permettent à ce film de se démarquer du groupe. Il fait partie de ces films dont le titre ne le met pas du tout en valeur. Big Guns nous évoque immédiatement un cinéma qui ne fait pas dans la dentelle, de l’action, de la violence, exactement l’inverse de ce qu’est réellement ce film (qui aurait dû conserver son titre italien à l’international). Car c’est bel et bien l’histoire de cet énigmatique Tony Arzenta qui va marquer le spectateur, davantage que sa croisade vengeresse.

Duccio Tessari livre ici un vrai film moderne, un terme qui le définit en opposition à la période classique du cinéma Hollywoodien. La modernité au cinéma (apparue en Italie durant les années d’après-guerre) est une période historique qui marque la rupture avec le schéma narratif et esthétique proposé par le cinéma américain comme une norme de divertissement. Voici une comparaison qui vous semblera plus claire : la période moderne au cinéma est comparable à l’apparition de la peinture abstraite après des siècles de peinture figurative. Cette modernité se caractérise, entre autres, par un aspect très simple : il s’agit de montrer les temps morts de l’histoire. Un protagoniste qui attend et qui s’ennuie, une situation de latence où il ne se passe pas grand-chose, sans musique grandiloquente et en silence. C’est ça la modernité au cinéma, le moment où les réalisateurs se sont désintéressés de l’héroïsme et du « bigger than life » pour raconter des choses beaucoup plus proches de nous et empreintes de la vie réelle. Maintenant que vous êtes au fait de la modernité, retournons à nos moutons. Tessari nous propose donc un film de gangster, dont le personnage principal est un tueur à gage en pleine vengeance, mais il préfère surtout nous dévoiler son deuil, son chagrin et son déchirement après la perte de sa femme et de son fils.

BIG GUNS © 1973 – PATHE FILMS – MONDIAL TELEVISIONE FILM

Dans une grande douceur, la caméra filme Alain Delon accablé de tristesse, seul et désœuvré prenant le temps de pleurer ses chers disparus avant de se lancer à la poursuite des assassins. Et même une fois que la vendetta est enclenchée, les scènes d’action et de violence demeurent plutôt sobres, ascétiques, avec des courses poursuites en voitures sans musique ou des meurtres qui ne durent que quelques instants. La violence froide et percutante qui fait du film une histoire de vengeance n’empiète pas du tout sur le voile de deuil qui pèse sur l’ensemble du long-métrage. Même s’ils ont parfois un rôle de faire-valoir auprès d’Alain Delon, les autres personnages qui croisent sa route, ses alliés comme ses ennemis, sont tous développés dans la limite de ce qui est nécessaire, chacun prenant sa place au moment opportun pour le bon déroulé de l’intrigue.

Delon prouve une fois encore qu’il est un acteur exceptionnel, incarnant ici un voyou qui s’est rangé trop tard. Le regret se lira dans son regard jusqu’à la fin. Finalement, c’est un film plutôt approprié pour un lendemain de Saint-Valentin : il rappelle à quel point la fureur ne ramène pas les êtres chers, que le sang versé n’apaisera jamais celui qui reste et qu’en fait, la vengeance est un plat qui se mange fade.

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