Pour la France : Trahi par ses propres rêves

Pour la France est le second long métrage du réalisateur Rachid Hami. Ce dernier s’est notamment fait repérer en 2007 avec son moyen métrage Choisir d’aimer pour lequel il a reçu trois distinctions. En 2017 sort son premier long métrage, Mélodie. Pendant tout ce temps cependant, le réalisateur vit avec le cœur meurtri. En automne 2012 est survenu un évènement tragique. Durant un entraînement non officiel auquel de nombreux manquements aux règles ont pu être observés, un groupe de nouvelles recrues se retrouve acculé au milieu d’un étang dans lequel ils n’ont plus pied. Le bahutage nocturne tourne au drame lorsqu’un corps est retrouvé inerte sur les berges le lendemain de l’incident. Il s’agit de Jallal Hami, le frère du réalisateur. Voici le point d’ancrage de cette histoire tragique où le drame frappe de plein fouet et avec violence.

Dix ans, c’est à peu près le temps qu’il a fallu à la justice pour rendre son verdict et offrir à Rachid Hami le loisir de faire son deuil à sa manière. Avant toute chose, Pour la France est avant tout une manière, pour le frère du défunt, de faire son deuil. Coucher par image les faits, les actes, les évènements et toute leur dimension incertaine permet avant tout de s’émanciper de l’emprise émotionnelle de ce drame. À l’image de l’affaire Oussekine qui fait beaucoup parler d’elle ces derniers temps, extérioriser ses peines, ses angoisses et ses questionnements au travers d’un scénario de fiction est l’un des meilleurs moyens de réussir à se délivrer de l’affliction profonde de la perte de son frère. Il faut dire que Rachid Hami a une place privilégiée pour écrire et raconter son histoire.

C’est tout ce contexte qui donne le sens au titre et plonge la narration dans un équilibre précaire que les auteurs ont su habilement approfondir. Pour la France s’agit là d’une prise de position lourde de sens. De la bouche d’un soldat, c’est le propre même de sa vertu, mais de la bouche d’un immigré, elle devient politique. Pourtant l’armée n’est-elle pas une grande famille ? Les origines des uns et des autres ne devraient donc pas être un sujet dans ces circonstances. C’est tout le questionnement auquel le réalisateur cherche des réponses. Mourir pour ce que l’on considère comme son pays de cœur ou d’accueil et mourir par celui-ci peut rapidement provoquer une crise identitaire à qui essaie de chercher un coupable vers lequel rediriger sa colère. Et lorsque la politique s’en mêle, c’est un aveu de faiblesse qui vient enterrer tout espoir de réponse et de justice.

Pour la France raconte une histoire tragique, une épreuve qu’aucune famille ne devrait avoir à subir. Le long métrage se divise sous la forme de nombreux aspects, tous ayant pour objectif de se servir d’un souvenir, d’un instant ou d’un échange comme la réponse à nos interrogations. Le film traverse cette lourde étape par différents axes narratifs et différents angles émotionnels. En jonglant avec les époques, les enjeux, les frictions intra-familiales, les rêves et tout ce qui forge une famille avec ses qualités et ses défauts, le scénario aborde cette tragédie avec une lourde maturité. Le spectateur doit encaisser un sacré morceau de vie sous différentes thématiques toutes plus poignantes les unes que les autres, où il accompagne cette pensée évolutive au fil de l’écriture.

Il s’agit d’un drame dans sa définition la plus pure et la plus dure. On cherche des coupables, et il y en a. Mais quelle est la responsabilité du destin ici ? Et quid de ce concours de circonstance qui nous torture davantage l’esprit qu’autre chose ? Et que dire de ces traditions qui ne font que rendre un pays aussi fier que la France, un peu plus absurde qu’il ne l’est – un pays régi par certaines lois et traditions qui n’ont plus aucune valeur si ce n’est celle de faire passer ses ressortissants pour des hommes préhistoriques ? Pour la France est incroyablement émouvant sur toutes ces questions. Le scénario, appuyé par le scénariste philosophe Ollivier Pourriol, aide à montrer cette histoire comme un tout et non comme une succession de décisions arbitraires et sans fondement. La narration tente de résoudre chaque mystère et chaque injustice de cette tragédie en fonction de son contexte. Un décès a souvent tendance à mettre du désordre dans nos émotions. En traitant chacun des ressentis émotionnels des membres de la famille, Ollivier Pourriol se charge de poser à plat les doutes et de leur apporter une réponse, parfois philosophique, mais toujours dans l’optique d’apaiser les cœurs meurtris.

Les personnages mis en scène sont tous très forts et magnifiquement interprétés. Pour la France passe par différentes étapes, la famille, l’émancipation, l’accomplissement de soi, l’honneur patriotique, la justice, la politique, le devoir. Chacune de ces thématiques est abordée suffisamment longtemps pour reposer à plat les questionnements et volontés des proches. Au même titre qu’une quête initiatique permet de s’accomplir soi-même, il s’agit ici de retrouver une paix intérieure, que la justice ait ou non accompli sa mission. Étape après étape, Rachid Hami devient en paix avec lui-même au sein de sa famille, de ses proches, de ses croyances, de son pays, de sa religion. Il ne s’agit pas de trouver un responsable finalement, mais d’apaiser une douleur incurable en remettant de l’ordre au milieu de tout le bazar qu’un drame tel que celui-ci a pu provoquer.

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