La Tour : Voile noir de l’inhumanité

La filmographie de Guillaume Nicloux est assez singulière, il faut l’admettre. Après une comédie ovni mettant en scène Michel Houellebecq et Gérard Depardieu, nous le retrouvons avec La Tour, où il questionne sur la vie, l’humain et la société dans son ensemble. De comédie à film d’horreur, le réalisateur paraît s’attaquer à ses projets au gré de ses désirs. Première fois qu’il semble s’attaquer à ce genre, son désir est justifié dans une note d’intention audio disponible sur YouTube. Alors nous voilà en route vers une production improbable aux allures de film d’anticipation.

La Tour est initiée par un synopsis aussi simple que celui de The Raid. En plein milieu d’une cité, un immeuble de nombreux étages se retrouve plongé dans un gigantesque nuage noir. Problème, ce dernier désintègre tout ce qui le touche. Les habitants, pris au piège, ne peuvent alors plus s’enfuir, se ravitailler ni communiquer avec l’extérieur et sont désormais soumis à leur survie. Démarre ainsi un énorme jeu d’échecs meurtrier entre les diverses communautés qui se créent. Réduit à sa nature profonde, l’humain se retrouve testé et repoussé jusqu’à ses derniers retranchements.

En réalité, le concept même de La Tour est génial. Guillaume Nicloux essaie pourtant trop de se justifier et de justifier son projet. Par définition, aucun créateur artistique ne devrait avoir à justifier ses créations, encore moins lorsqu’elles apportent un intérêt narratif. Même les projets qui semblent les plus obscurs ou personnels apportent quelque chose, ne serait-ce que par l’angle d’attaque de la thématique principale. Ici celle de mettre l’homme face à ses peurs les plus profondes et les plus angoissantes. Claustrophobie, peur du noir, peur des autres, isolement, la faim, le manque, etc. Plonger l’humanité face à ses pires angoisses est un magnifique moyen de traiter de la société contemporaine d’aujourd’hui, surtout lorsque celle-ci est inspirée par les multiples confinements dus à la COVID-19. Explications ou non, les spectateurs se chargeront de comprendre l’histoire et sa narration comme ils l’entendent et le souhaitent. En réalité, le scénario de La Tour se suffit amplement à lui-même et est suffisamment explicite et clair pour comprendre l’intention qu’il y a derrière sans avoir besoin de l’expliquer par-dessus.

Plus qu’un film d’horreur, c’est avant tout une réflexion, certes pessimiste, sur la société et son humanité. Voire sur l’humanité et son manque d’humanité. Le film, outre sa dimension fantastique ou science-fictionnelle, reflète presque le genre anticipation dans son approche anthropologique. La tour d’immeuble est ici isolée par un voile noir magique qui tue, mais un simple isolement ultra-restrictif pourrait amener les mêmes résultats. On l’a d’ailleurs constaté avec l’augmentation des violences conjugales et d’autres types de comportement malsains qui ont vu le jour. Et c’est là que le génie du scénario prend forme. En proposant une réalité très probable à un évènement qui a en réalité beaucoup plus de chances de se produire qu’on le croit, si l’on part du principe que le fameux nuage n’est qu’une métaphore. Il suffit de voir à quel point le monde marche sur la tête depuis ces trois dernières années. Il ne faut donc pas voir La Tour comme une histoire originale, mais comme une étude comportementale fictive a tendance documentaire. Les groupes se forment en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur religion ou de leur couleur de peau. Rien n’est laissé au hasard et tout est une excuse pour rejoindre ou créer un clan. Il n’est même pas vraiment question de s’unir, car les intérêts de chacun finissent inexorablement par s’entrechoquer au point qu’il devient préférable d’éliminer tout ce qui n’est pas voué à nous renforcer.

D’ailleurs, il s’agit d’un scénario qui n’est pas si nouveau. Ne serait-ce que des films comme District 9 ou plus récemment le film coréen Défense d’atterrir explorent des thématiques similaires. Bien d’autres films s’en rapprochent même certainement beaucoup plus. À différentes échelles, les problématiques abordées par La Tour restent relativement prévisibles et déjà explorées dans nombre d’autres productions. Ce qui est intéressant n’est pas réellement le sujet du film en lui-même, mais l’observation de comment cette situation précisément a évolué. Le long-métrage apporte donc d’autres réponses, d’autres pistes de réflexion et d’autres théories. Le style horrifique même du film, outre son aspect fantastique pur, ne réside finalement pas dans sa dimension mystique. Au contraire, elle trouve toute sa force dans l’approche pragmatique de la mentalité des gens. Imaginez-vous que dans le cas le plus extrême, votre voisin serait sûrement apte à vous sacrifier sans la moindre hésitation, ni la moindre once de remords.

Ce qui est amusant, c’est que le réalisateur insiste bien sur l’incapacité à l’humanité de trouver un terrain d’entente pour se battre et agir de concert. En réalité, il insiste même sur le manque total de volonté à le faire. Dès le début, les protagonistes se liguent selon leur couleur de peau ou leurs origines ethniques. Un comportement d’autant plus risible que le nuage noir, lui, ne se préoccupe pas de savoir qui est qui. Tout le monde est logé à la même enseigne et advienne que pourra. Alors que l’être humain fait preuve d’une étonnante débrouillardise et d’une organisation impeccable concernant sa survie, il fait également preuve d’une stupidité sans limites quant à son manque de cohésion et d’entraide. Acculés comme ils le sont, ils ne semblent avoir aucune raison de se battre, mais ils finissent par le faire quand même. Comme si se faire la guerre était contractuel, un rite obligatoire. Cela montre aussi par extension que l’être humain est capable de choses particulièrement paradoxales lorsque sa survie en dépend. Une personne est capable de puiser en elle des ressources physiques et mentales infinies pour sa survie, mais est incapable de réfléchir comme un groupe. Une sorte d’esprit de compétition et d’égo mal placé l’empêche à la fois d’accepter la confiance d’autrui et le pousse vers ce désir d’être meilleur qu’eux, quitte à franchir l’étape du crime ultime. L’une des rares leçons que la série The Walking Dead s’est toujours efforcée de raconter depuis 11 saisons.

En définitive, la force ultime du film réside dans sa capacité à renouveler sans cesse son scénario. D’un côté, le scénario même du film explore des affres comportementales de la déshumanisation, mais il laisse en perpétuel suspens des milliers de pistes annexes différentes. Si bien qu’il pourrait parfaitement devenir un synopsis de série au nombre de saisons et d’épisodes quasiment illimité tant il est possible d’imaginer une foultitude de cas spécifiques. Un peu à l’image de sagas comme Le Labyrinthe ou Hunger Games dont les participants de chaque jeu change sans cesse, le nuage noir plongerait dans l’obscurité un nouvel immeuble à chaque saison. Les intrigues changeraient selon les mentalités prédominantes, les religions, les ethnies, les richesses, les milieux socioprofessionnels, les maladies psychotiques et plus encore. L’exemple présent de La Tour évoque un cas de figure parmi tant d’autres avec ces habitants précisément. Et si la tournure des évènements semble s’être développés de la manière la plus attendue, il subsiste des formes d’enfermement totalement inédites qui restent en suspens. Évidemment, il s’agit là de la vision de Guillaume Nicloux et son histoire. Bien qu’elle laisse place à l’imagination et la supposition, elle cherche avant tout à traiter certaines thématiques sous un angle précis. C’est à la fois cette inventivité, cette maturité sur notre perception de groupe et cette retenue dans le traitement de nos relations qui permet à La Tour de proposer une histoire aussi sensationnelle. Difficile d’admettre qu’on puisse en rester là sans explorer la problématique sous d’autres angles et avec un genre aussi marqué visuellement.

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