Astrakan : La cinquième roue du carrosse…

Parmi les représentations cinématographiques récentes de la région morvandelle nous avions pu relever l’agreste et puissamment terrien Mort-Bois, une enfance de Jean Genet (court métrage co-réalisé par Frédéric Labonde et Frédéric Bonnet en 2019, ndlr) et surtout l’étrange Ogre de Arnaud Malherbe, conte aux résonances fantastiques à la fois prometteur mais globalement décevant sorti l’année dernière… Région hantée, mystérieuse et picturalement fertile le Morvan semble être pour un certain nombre de nouveaux réalisateurs un formidable terreau créatif et imaginatif susceptible de servir de matière première à leurs films : des forêts verdoyantes aux petits hameaux étranges et littéralement habités (ou visionnés, comme aimait à l’écrire un certain Victor Hugo…) le poumon bourguignon n’en finit pas de déployer ses gammes chromatiques au gré des saisons et des intempéries, des reflets moirés tour à tour printaniers et automnaux ou du givre hivernal suivi des torpeurs estivales…

Cette splendeur pastorale typique doublée d’une évidente déclinaison saisonnière demeure du reste l’un des axes principaux du premier long métrage de David Depesseville répondant au titre énigmatique voire sibyllin de Astrakan visible dès ce mercredi 8 février dans nos cavernes obscures : un film a priori intrigant et fascinant porteur de jolies promesses de cinéma mais qui s’avère – hélas pour nous – totalement antipathique d’un bout à l’autre de son récit… Narrant donc l’évolution de Samuel (un enfant de l’assistance transbahuté dans une famille d’accueil morvandelle, ndlr) sur une poignée de mois aux atmosphères aussi diverses que visuellement tranchées Astrakan est de ces films proprement rebutants et rébarbatifs, trop distanciés pour réellement convaincre et pas assez incarnés pour captiver a minima…

D’emblée David Depesseville affiche une forme cinématographique hybride et comme en dehors du temps et de l’espace, jouant sur les repères contemporains qu’il distille avec parcimonie tout en insufflant à son film une bonne dose de désuétude plus ou moins savoureuse ; à l’instar du récent et magnifique Falcon Lake de Charlotte Le Bon le réalisateur a choisi de tourner Astrakan en 16mm afin de complaire aux aficionados de la patine filmique et du crin-crin tout à fait charmant et auteurisant… Et le bât blesse furieusement de ce point de vue tant l’objet dont il est ici question frappe par sa permanente artificialité formelle, trop vintage pour être vrai et trop « beau » pour ferrer l’hameçon de nos pupilles…

Passé outre un décorum sérieusement fabriqué auquel on a bien du mal à s’acclimater dès les premières minutes le contenu demeure lui aussi difficilement appréciable, tant David Depesseville semble prisonnier de ses références et terriblement incapable d’une quelconque forme de spontanéité… Les films les plus réussis sur l’enfance et son imaginaire sont souvent les plus directs et les plus immédiats dans leur appréhension, parvenant à capter des instants vécus dans leur entièreté et leur simplicité présentes au travers de leurs personnages tour à tour juvéniles et peu ou prou innocents, vierges de tout préjugé et de toute forme d’intellectualisation… Et si Samuel est ici dans l’âge du « en devenir » du haut de ses 13 ans son interprète Mirko Giannini est tellement déplaisant et sans attraits qu’on lorgne ici davantage du côté du revêche L’enfance Nue de Maurice Pialat que des superbes 400 coups de François Truffaut.

Ainsi Astrakan ne cherche visiblement jamais à se montrer sympathique aux yeux de son audience, à l’image de ce vilain petit canard à la mine torve et apathique aux dehors taciturnes… Rien ou presque ne séduit dans cette chronique jouée de manière trop théâtrale et parfois pratiquement suffisante, les autres personnages n’existant que trop rarement au profit du fameux astrakan titulaire (le terme désigne un mouton noir mort-né des régions eurasiennes, et semble ici définir avec une prétendue subtilité la figure de Samuel le mal-aimé, nldr). Même Bastien Bouillon et Jehnny Beth – fortement et respectivement appréciés dans La Nuit du 12 de Dominik Moll et Les Olympiades de Jacques Audiard et jouant pour l’occasion les parents adoptifs du jeune adolescent – ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu d’un film sonnant faux de part et d’autre, et dépourvu d’authenticité in fine.

Le cinéma a toujours été, demeure et restera encore et encore une affaire de registre et de ressenti ; Astrakan aurait pu nous plaire et même nous subjuguer car il avait de quoi, de toute évidence : décors naturels somptueux, format pellicule de bon aloi, peinture existentielle d’une enfance rejetée et incomprise, utilisation perlée et symbolique de la musique en fin de métrage… Il s’enlise malheureusement – et volontairement – dans un dispositif filmique peu avenant, aux confins d’un cinéma précieux voué à séduire les pédants de tout poil. Une franche déception.

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