Knock at the Cabin : L’Apocalypse s’invite chez vous

Repentez-vous ! Repentez-vous ! Pécheurs et pécheresses tremblez si vous avez fauté, car ce mercredi 1er février le Jugement Dernier se déchaînera dans vos salles de cinéma. En ces temps troublés marqués par de multiples angoisses de fins du monde (la pandémie, l’urgence climatique, le retour de Trump sur Facebook), votre seule et unique chance de salut sera de faire face au Plan Divin, à la Révélation… A l’Apocalypse. Et celle-ci a un nom : M. Night Shyamalan.

Le réalisateur de plusieurs succès et films cultes tels que Incassable, Signes et Sixième Sens revient cette année dans nos salles obscures avec le film Knock at the Cabin, un huis clos apocalyptique oppressant, adapté du roman The Cabin at the End of the World de Paul G. Tremblay. Andrew (interprété par Ben Aldridge), son mari Eric (Jonathan Groff) et leur fille adoptive Wen (Kristen Cui) sont tous les trois en vacances dans un magnifique petit chalet isolé dans la forêt au bord d’un lac. Tout annonçait un séjour idyllique, jusqu’à l’arrivée intrusive de quatre étrangers à l’allure plutôt hostile : Leonard (Dave Bautista), Redmond (Rupert Grint), Sabrina (Abby Quinn) et Adriene (Nikki Amuka-Bird). Les quatre intrus vont brutalement interrompre les vacances de la famille en leur posant un terrible ultimatum : l’Apocalypse est en marche et pour l’arrêter et sauver l’Humanité, Andrew, Eric et Wen devront sacrifier l’un d’entre eux. Le film commence presque in medias res. En deux minutes, le réalisateur nous présente la petite Wen et le grand Leonard, les deux personnages phares du film, pourtant diamétralement opposés. Pas le temps de souffler, une fois les présentations faites entre les deux personnages, la roue narrative est lancée et ne fera aucune pause jusqu’au dénouement, nous malmenant et nous prenant les tripes sans aucune pitié.

Même si M. Night Shyamalan a connu des passages à vide, Knock at the Cabin est un coup de poing savamment porté d’une part par sa nature symbolique et d’autre part, par la performance de ses acteurs. Le spectateur comprendra très vite que ce home invasion est en fait ni plus ni moins qu’une réécriture contemporaine de L’Apocalypse de Jean, le dernier livre qui constitue la Bible. Et au vu de la nature de ce mythe biblique qui date du 1er siècle après Jésus-Christ, son adaptation en huis clos dans un contexte contemporain relevait de la tâche herculéenne. Le livre de Jean étant essentiellement composé de métaphores et d’images psychédéliques (qui en traduction cinématographique donnerait un hybride entre David Lynch, Terry Gilliam et Bertrand Mandico), Shyamalan réussit à épurer la matière biblique, à ne conserver que les symboles les plus forts et les plus connus et à remanier ses personnages pour les détacher d’un modèle trop ancien et éloigné du nôtre. Le résultat donne un film avec une force discursive absolument éloquente et contrairement à sa matière religieuse d’origine, extrêmement connectée aux réalités actuelles.

Du même coup et sans être indigeste, Shyamalan parle de toutes ces angoisses et nouveaux fléaux qui semblent s’accélérer au passage de cette troisième décennie du XXIe siècle. Il traite la fin matérielle de notre planète avec le dérèglement climatique mais aussi les nouvelles croyances et surtout les nouveaux fanatismes qui s’épanchent sur les théories du complot. Son film raconte, grâce à l’outil de divertissement qu’est le thriller, la manière dont un esprit critique et sain peut lentement être empoisonné par le mensonge que représentent certaines théories du complot et qui vient enfermer toute capacité de raisonnement. Le spectateur n’y échappe pas non plus, puisque cette transition d’une conviction à son exacte opposée est construite dans le film par la formule narrative préférée du réalisateur : c’est vrai ou c’est faux ? Formule simple mais diablement efficace puisque le créateur implante une situation critique dans la tête de ses personnages et de son spectateur, et va ainsi développer son film tout autour du doute. « Est-ce que la motivation de tel personnage est fondée ou est-ce qu’il se trompe ? » ; « Qui a raison et qui a tort ? » sont les questions fondamentales qui régissent ce film, décuplées par la pression du temps qui passe puisque bien évidemment, les personnages doivent agir au plus vite pour s’en sortir. Le tour de force de la mise en scène tient dans son format, puisque le réalisateur raconte un récit immense de fin du monde sans jamais sortir des murs de ce chalet. L’Apocalypse en devient intimiste et personnelle, affectant n’importe quelle famille, n’épargnant personne, même les plus innocents.

Enfin, dans ce nouveau Testament à la sauce Shyamalan, il y a le casting irréprochable qui parachève la modernisation de son récit. Dans L’Apocalypse de Jean, le récit étant très factuel, il n’y a pas de développement de personnages et surtout, ils sont avant tout des allégories sans véritable profondeur psychologique car là n’était pas l’objectif.  Il est donc question d’un Dieu pas très patient qui brûle les Pécheurs et sauve les Justes sans trop creuser le bienfondé de sa décision, accompagné de soldats divins qui massacrent tout sur leur passage au nom des forces du Bien. Pas de manichéisme allégorique chez Shyamalan (rappelons-le c’est un mythe écrit il y a 2022 ans), les quatre étrangers venus poser l’ultimatum (certains auront peut-être compris qui sont ces quatre messagers) sont tous présentés au spectateur comme des personnes normales et tout aussi bouleversées par leur situation que Andrew, Eric et Wen. Pas un seul acteur n’est en dessous des autres. Le couple Andrew et Eric nous touche par leur histoire présentée en flash-backs et l’injustice dont ils sont victimes. Dave Bautista, qui incarne Leonard, le meneur des quatre intrus, prouve qu’il sait jouer des émotions complexes, et nous touche tout autant, nous étonnant par sa délicatesse et sa douceur. Il est plaisant de redécouvrir ce catcheur/acteur, qui dépasse son physique colossal et ses premiers rôles comiques ou secondaires, pour vraiment imposer son jeu dramatique subtil et retenu.

Quel que soit votre rapport aux Écritures, ce film ne vous laissera pas indifférent, puisqu’il est aussi multiple que ses composantes. C’est un home invasion qui s’inscrit dans la tendance Get Out ; un film éco-catastrophique aussi troublant que 2012 ; une histoire de famille et d’individus, qui utilise notre culture commune comme une force et un moyen de raconter un récit sur l’Humanité, sa finitude, sa fragilité et finalement sa beauté. « Il essuiera toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur » Apocalypse : 21 : 4.

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