Le vent de la plaine : Qui apporte la tempête…

Étant actuellement l’éditeur ayant le catalogue de westerns le mieux fourni de tout le pays Sidonis Calysta agrandit régulièrement sa collection avec de sacrés titres, oscillant entre les incontournables du genre et les pépites à découvrir, gardant en permanence une ligne éditoriale farouchement impeccable. On ne boudera donc pas notre plaisir devant Le vent de la plaine, disponible en Blu-ray et DVD depuis le 9 décembre dernier.

Seul western réalisé par John Huston, Le vent de la plaine doit avant tout sa réputation au cinéaste lui-même qui décrétait bien volontiers qu’il détestait le film, loin d’être le plaidoyer contre le racisme qu’il aurait voulu produire. Certes, le montage initial de 2h30, pourtant bien accueilli lors des previews, fut amputé en l’absence de Huston qui n’avait pas le final cut et qui se retrouva donc avec un film tronqué d’une demi-heure, sacrifiant au passage plusieurs personnages (dont celui incarné par John Saxon) et perdant dans ce montage la puissance initiale voulue par Huston. D’ailleurs le résultat final ne trompe pas : Le vent de la plaine est un très beau film, passionnant et traversé par de superbes idées mais on sent bien que quelque chose ne va pas et que derrière ce que l’on voit là se cache un grand film.

Huston est cependant bien trop dur avec lui-même car le film est loin, très loin, d’être honteux mais le cinéaste garde peut-être un mauvais souvenir du tournage qui fut chaotique. En effet, les prises de vue se déroulèrent au Mexique dans la région de Durango, région alors infestée de bandits et en proie à de violents pics de chaleur. Non seulement l’équipe devait rester sur ses gardes en permanence mais la poussière soulevée par le vent abîmait le matériel et les rushes étaient développées à Londres, rendant impossible tout visionnage pouvant éventuellement corriger les erreurs commises. Le tournage fut également marqué par l’attitude de Burt Lancaster qui avait alors réalisé un film et préférait se diriger lui-même, par Lillian Gish qui bassinait tout le monde en racontant combien c’était mieux de tourner du temps de Griffith et par Audie Murphy, en permanence armé et tirant sur les animaux qui avaient le malheur de croiser son chemin. Audrey Hepburn fut la plus marquée par le tournage, l’actrice alors enceinte faisant une mauvaise chute de cheval qui lui brisa des vertèbres et entraîna une fausse couche, événement dont Huston s’en voulut apparemment toute sa vie.

Dans ces conditions difficiles, il fallait bien un cinéaste de la trempe de John Huston pour venir à bout du tournage et en tirer un bon film, ne lui en déplaise. Car Le vent de la plaine, adapté d’un roman d’Alan Le May (également auteur de La prisonnière du désert, avec lequel le film partage des similitudes) est une œuvre passionnante, avec des personnages complexes tout en étant un farouche plaidoyer contre l’intolérance. L’intrigue tourne autour de la famille Zachary dont le père a été tué par les Indiens Kiowas. Trouvée alors qu’elle n’était qu’un bébé et adoptée, Rachel vit entourée de ses trois frères (dont Ben, très protecteur et Cash, vouant une haine féroce aux Indiens) et de sa mère. Un jour, un mystérieux cavalier solitaire fait irruption dans les environs et propage la rumeur que Rachel est en fait une Indienne et la révélation sème le trouble parmi son entourage…

Foisonnant dans ses thématiques, Le vent de la plaine s’interroge sur la force qui compose les liens familiaux. Est-ce que ce sont les liens du sang ou bien les liens affectifs qui nouent une famille ? Tiraillé entre deux identités, le personnage de Rachel constitue le cœur du récit et en est le plus beau. Huston tire le meilleur d’un scénario aux personnages ambigus et jamais manichéens comme Ben, le grand frère protecteur mais quasiment incestueux puisqu’il aime Rachel alors qu’il l’a toujours considérée comme sa sœur ou encore Cash dont la violence des idées racistes le ronge de l’intérieur. Même la mère est loin d’être exemplaire, préférant provoquer le lynchage d’un homme plutôt que de regarder la vérité en face. Le point de vue du film est d’ailleurs tout sauf manichéen puisqu’il se focalise sur les colons blancs, ceux qui sont arrivés dans le territoire en massacrant les Indiens. C’est là où l’on peut comprendre que Huston rejette le film comme n’étant pas à la hauteur de ses ambitions (les colons sont les protagonistes et le film se termine par un combat à mort contre des Kiowas) mais il faudrait être assez stupide pour ne pas voir de quel côté le cinéaste se situe, tirant à boulets rouges sur n’importe quelle forme d’intolérance, fustigeant la bêtise et l’ignorance. L’intolérance et le racisme ne sont d’ailleurs que des peurs de l’autre, de celui qu’on ne connaît pas car les origines Indiennes de Rachel ne dérangeront pas sa famille puisqu’avant de la connaître comme Indienne, ils ont fait d’elle leur sœur. Le choix auquel Rachel est confrontée à la fin du film est d’ailleurs profondément douloureux et ambigu, Huston étant loin d’imposer à son spectateur un jugement préétabli.

Traversé par de formidables idées de mises en scène, Le vent de la plaine voit John Huston s’amuser avec les codes du western, préférant les subvertir à petites touches comme cette ouverture qui voit une vache paître sur le toit de la maison des protagonistes ou cette séquence nocturne où une mélodie jouée au piano répond au chant de guerre des Kiowas. Tout le film est traversé par un joli souffle lyrique et la mise en scène flirte joliment avec le fantastique, à l’image de ce cavalier solitaire par qui arrive le malheur (inquiétant Joseph Wiseman, futur Docteur No chez James Bond) qui est clairement filmé comme un fantôme traversant une plaine mystérieuse. Si l’on ajoute à ça la prestance pleine d’assurance de Burt Lancaster, la prestation nuancée et franchement touchante de Audrey Hepburn ainsi que celle de Audie Murphy (moustachu pour l’occasion), plus torturée et plus convaincante qu’à l’accoutumée, on ne peut que donner tort à Huston quand il clamait que le film n’était pas réussi. Il n’a pas l’ampleur de ses chefs-d’œuvre, certes, mais il a beaucoup à donner et beaucoup chez Huston, c’est plus que chez bien d’autres cinéastes !

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