Les Rascals : Naissance d’un conflit toujours plus actuel

Remarqué en tant que réalisateur pour son court métrage Soldat Noir sélectionné à la Semaine de la critique 2021 et nominé au César 2022 du meilleur court-métrage, Jimmy Laporal-Trésor continue à développer les années 80 sous le prisme des conflits de gangs parisiens avec son premier long-métrage Les Rascals qui va sans aucun doute faire parler de lui à sa sortie. C’est The Jokers, décidément sur tous les bons coups, qui accompagne la naissance de ce nouveau cinéaste populaire dont la France a définitivement besoin à une période où nos films hexagonaux n’arrivent plus à se hisser dans le top 10 du box-office français. Laporal-Trésor ne se contente pas de redonner vie à une période d’une manière jamais vue auparavant en dehors de quelques documentaires mais il lui irrigue une véritable noblesse à travers le parcours de ses personnages aussi hétéroclites qu’intrigants. Les Rascals sont dans la place et ils ne sont pas prêts d’en sortir.

Synopsis : Les Rascals, une bande de jeunes de banlieue, profite de la vie insouciante des années 80. Chez un disquaire, l’un deux reconnait un skin qui l’avait agressé et décide de se faire justice lui-même. Témoin de la scène, la jeune sœur du sin se rapproche d’un étudiant extrémiste qui lui promet de se venger des Rascals. Alors que l’extrême droite gagne du terrain dans tout le pays, la bande d’amis est prise dans un engrenage. C’est la fin de l’innocence…

Jimmy Laporal-Trésor le revendique, il veut avant tout faire du cinéma populaire qui donne un regard sur notre société passée et présente. Il fut un temps où nous étions capables de produire de telles œuvres, mais cet artisanat a malheureusement périclité en même que la vague de cinéastes politiques des années 70 avec comme dernier ambassadeur Costa-Gavras qui n’est maintenant plus tout jeune. Difficile alors de ne pas faire le parallèle avec le West Side Story de Spielberg conçu dans des périodes proches, qui abordait de façon similaire les relations entre communautés migrantes et déjà installées au sein d’un territoire. New York pour l’un, Paris pour l’autre, les Sharks contre les Jets, les Rascals contre les Skins avec à chaque fois pour épicentre l’inévitable tragédie liée à la violence que tout sentiment de vengeance entraîne. L’un des personnages principaux de la bande d’amis prendra même le nom de “Rico” à consonance latino, une manière pour lui d’échapper à sa condition d’Arabe dans un pays où il ne pense pas être désiré. Les personnages ont beau habiter les années 80, leur look très fifties ne cesseront de les ancrer de manière anachronique dans une époque où la culture américaine et française se mélangeaient encore avec fluidité. Mais là où West Side Story travaille la comédie musicale grâce à la figure romantique de Roméo et Juliette, Les Rascals aborde plutôt le thriller de manière bien plus frontale. Dans aucun des camps, il n’est question d’honneur. La victoire reviendra à celui qui tombera en premier sur l’autre, plus nombreux et mieux équipés. Quand ça doit taper, on n’y va pas à moitié.

La première séquence où deux groupes de jeunes de cité se courent après avant de tomber sur un groupe de skins au détour d’un parking est sur ce point essentiel puisqu’elle marque à la fois le lien unificateur de ce que deviendront les Rascals mais aussi la violence originelle qui entraînera les évènements dramatiques dépeints dans le reste du film. Belle première note d’une partition pleine de rebondissements, la demi-heure suivante révèlera la maîtrise indéniable de la mise en scène par Laporal-Trésor qui magnifie sans fantasmer cette bande de loosers toujours flanquée dans les mauvais coups. Les Rascals, ce nom presque trop grand pour eux, ils le portent avec fierté sur leur dos comme une revendication de leur appartenance à une communauté qui ne se laisse pas faire, alors que les braquages du Gang des Antillais sont sur toutes les lèvres. C’est d’ailleurs une occasion rafraîchissante pour le réalisateur de jouer avec les richesses de la langue française puisque nos roublards utiliseront le “louchébem” (argot du boucher qui consiste à déformer les mots en fonction de sa première lettre) tandis que pans entiers de dialogue se feront créole. Mais le point de vue du film ne s’arrête pas à eux. Une place presque aussi importante est donnée à Frédérique, sœur en quête de rétribution depuis qu’elle a assisté au tabassage en règle de son frère par ces mêmes Rascals. Ce traumatisme va la conduire à chevaucher sa part la plus sombre en côtoyant ceux qui formeront plus tard le GUD en la personne d’Adam, leader charismatique d’un groupe d’extrême droite qui n’hésite pas à taillader ses ennemis pour avoir osé coller des affiches par-dessus les siennes. Quasiment destinée à ce parcours par un père ayant fait partie des jeunesses hitlériennes, Frédérique va adhérer à ces idéologies sans jamais les remettre en question, en tout cas tant qu’elle n’a pas dépassé une certaine limite. Le film ne prend aucune pincette avec elle. Cet unique personnage féminin demeure néanmoins bien seul dans cet îlot masculin où l’on ne parle que de la gent féminine comme d’une conquête potentielle… ou déjà acquise.

Il y a néanmoins un point très précis qui marque une cassure avec la suite du métrage, un moment où l’impulsion se brise sans jamais réussir à revenir et qui coûte malheureusement beaucoup au film dans son ensemble. Dans une scène déjà vu et pas forcément inspirée de téléphone arabe en split-screen et autres procédés de montage, la rumeur comme quoi ce seraient les Rascals qui auraient tabassé le skin disquaire se répand dans le milieu interlope parisien. Très vite, un groupe d’antillais remonté tombe sur nos personnages en leur reprochant d’avoir utilisé leur “nom”. Qui sont-ils ? Le nom des Rascals appartient à un autre groupe ? Jamais nous n’aurons de réponse à ces questions comme à beaucoup d’autres par la suite.  Le film n’est pas tendre avec les spectateurs qui n’ont pas vécu cette époque ou qui n’auraient pas fait par eux-mêmes des recherches dessus. Il est par exemple compliqué d’identifier un skin dans notre imaginaire actuel comme autre chose qu’un fasciste. Or, les skins de la première séquence sont visiblement bien différents puisqu’ils détestent fondamentalement ce que représente le groupe d’Adam qu’ils traitent de nazis avec dédain. Une scène ou deux pour expliquer cette différence n’aurait pas été de refus, sachant qu’il ne s’agit pas du seul manque en termes de contexte historique. Il est rare de tenir de tels propos par rapport aux productions actuelles mais vingt minutes supplémentaires auraient pu permettre au film de gagner en amplitude et en puissance. Il manque cette fluidité narrative que savent si bien manier les Américains quand ils se lancent dans ce genre de projet. 

Loin d’être parfait, Les Rascals est un coup de pied dans la fourmilière. Une manière de dire “oui, nous sommes encore capables faire du cinéma populaire politique. Oui, nous pouvons avoir ce regard sur notre passé”. Il est dommage de voir à quel point il est aisé de retracer l’histoire d’un pays comme les États-Unis à travers l’évolution de son cinéma et qu’il est bien plus dur de trouver cette cohérence lorsqu’on fait de même avec le cinéma français. Nous avons une histoire sociale complexe et mouvementée qui ne se limite pas à Mai 68 et à la marche des Beurs. Pas besoin de faire un biopic sur un personnage connu, seulement de permettre à des réalisateurs talentueux de s’emparer de notre passé pour mieux nous renvoyer notre présent à la figure. Car notre relative incapacité à apprendre de nos erreurs nous oblige à rentrer dans un cycle duquel nous ne sommes pas prêts de sortir.

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