Les Survivants : Migrants et fachos à la frontière italienne

Voilà maintenant plus de dix ans que la crise migratoire est au cœur de tous les débats politiques en France et en Europe. La récente reprise du pouvoir en Afghanistan par les talibans n’a fait qu’accentuer un phénomène dont l’importance n’a cessé de grandir depuis la guerre civile syrienne en 2015. Dans ce contexte, les démocraties européennes ont connu un véritable revirement de bord idéologique en élisant une à une des dirigeants de droite ou d’extrême droite. Même si légèrement supplantée dans l’actualité par la crise russe et les potentiels retours d’épidémies, la question de l’immigration est donc aujourd’hui centrale. En situant son action au niveau de la frontière italienne des Alpes, comment un film comme Les Survivants se place-t-il dans le contexte actuel ?

Guillaume Renusson, dont c’est le premier long-métrage, prend le parti de plonger directement le spectateur dans une suite d’images d’archives censée donner un aperçu des conditions de vie des migrants à la frontière. Une fois notre empathie engagée, il enchaîne sur un plan séquence magnifiquement chorégraphié où les influences de Cuaron et Sorogoyen se mélangent afin de faire ressentir la violence d’une descente de police du point de vue d’une migrante jouée par l’actrice Zahra Amir Ebrahimi (elle-même bannie de son pays à cause d’un scandale sexuel). De l’autre côté de la frontière, Denis Ménochet incarne un père en pleine rééducation après un accident de voiture dont la femme n’aura pas survécu. Incapable de faire le deuil ou d’avoir la patience de s’occuper de sa fille, il décide sur un coup de tête de repartir s’isoler dans son chalet italien. Par cet enchaînement, le côté schizophrène des Survivants est déjà installé. À mi-chemin entre véritable survival et film d’auteur plus intimiste, Renusson n’arrive pas à trancher et reste coincé dans un entre-deux désagréable laissant l’impression de regarder deux films cohabiter sans jamais réussir à s’emboîter parfaitement. 

Cette tare est relativement fréquente chez les jeunes cinéastes français qui sont bombardés de références américaines sans jamais vraiment les assumer jusqu’au bout. Renusson a néanmoins l’honnêteté de revendiquer le genre dans lequel il s’inscrit, contrairement à d’autres, plus méprisants sur la question. Du point de vue Survival, malgré des scènes d’une grande intensité comme ce combat à mains nues entre Denis Ménochet et un milicien d’extrême droite encore une fois en plan séquence, la sauce ne prend pas complètement. Les antagonistes, ces chasseurs fachos comme ils aiment les appeler dans le dossier de presse, ne sont que de vulgaires caricatures. Sans autre motivation qu’une haine gratuite envers les étrangers, le faible charisme qu’ils dégagent nous donnent plus l’impression d’assister à l’énième caprice d’ados prépubères en manque de sensations qu’à un véritable danger pour notre duo de protagonistes. Du point de vue naturaliste et intime, la personne un minimum renseignée sur la situation migratoire n’apprendra pas grand-chose de nouveau si ce n’est qu’il y a des talibans en Afghanistan et que passer une frontière enneigée n’est pas de tout repos. Il reste néanmoins intéressant d’observer comment la migrante, dont le prénom se prononce “Chérie” à la française (oui ce n’est pas très fin), remplace petit à petit la femme de Denis Ménochet dans son esprit endeuillé jusqu’à un événement particulier à la fin du film qui a servi de base à toute la construction de l’histoire.

Finalement, Les Survivants (comme beaucoup de films traitant de ce sujet) ne prend aucun risque et reste toujours du bon côté, optant pour un manichéisme simpliste dans lequel pourront se complaire les spectateurs parisiens. La question de pourquoi de jeunes français et italiens feraient équipe pour traquer des migrants en montagne est laissée avantageusement dans le flou. Car, ces migrants restent rarement à la frontière, soit ils sont rapatriés dans les terres par les autorités, soit ils arrivent à traverser le pays jusqu’à leur destination. Dans ce cas, que défendent-ils lorsqu’ils clament “on est chez nous ici” ? Leur patrie ? Leur territoire ? On ne sait pas. Leur racisme n’est jamais mis en scène autrement que par la caricature. Ils ne sont que des pions dont le scénario a besoin pour maintenir éveillé son spectateur. De la même manière, la raison pour laquelle Denis Ménochet risque sa vie pour cette migrante n’est jamais vraiment explicitée, même si on comprend les envies égoïstes, presque suicidaires qui le poussent à agir. La mise en scène n’arrive pas à montrer le changement qui s’opère dans son esprit, rendant la suite moins engageante pour le spectateur.

Le film souffre clairement d’un problème de point de vue. Guillaume Renusson et son scénariste Clément Pény font une erreur lorsqu’ils choisissent de prendre Samuel, le père endeuillé, comme personnage principal. Son histoire n’est pas assez développée pour le rendre attachant. La relation houleuse qu’il entretient avec sa petite fille à laquelle on essaye sans cesse de nous rattacher est plate à souhait. Alors que le simple fait de savoir comment cette migrante a réussi à atterrir dans le chalet de Samuel en pleine montagne, seule et sans manteau, paraît bien plus passionnant à suivre. De même, là où leur relation aurait pu être celle des gestes au sein d’une nature hostile, une sorte de retour à l’état sauvage originel, les scénaristes font le choix de faire parler Chehreh en français, rendant le film légèrement bavard là où il aurait pu gagner en force visuelle. Il faut néanmoins reconnaître la belle performance des deux acteurs principaux qui ont dû passer un tournage particulièrement éreintant à grimper des massifs enneigés à mains nues et courir en haute altitude.

Les survivants a néanmoins le mérite de porter en son sein, une envie honnête de cinéma. Aussi imparfait soit-elle, une envie de cinéma est trop rare pour ne pas lui donner sa chance, surtout que le film dispose d’une très belle tenue visuelle et technique. Rob, compositeur du Bureau des Légendes ou de Revenge, livre ici une magnifique prestation en donnant une autre envergure à ces paysages déjà si somptueux ou en accentuant la tension des scènes d’action. S’il existe une partie de vous qui souhaite voir Denis Ménochet casser la gueule à des jeunes d’extrême droite alors vous trouverez irrémédiablement votre compte.

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