28ème festival Chéries Chéris : Bilan

Le festival Chéries-Chéris, qui propose des fictions, documentaires et courts-
métrages inédits traitant des homosexualités et des transidentités est devenu une étape formidable et essentielle pour tout cinéphile, par la qualité et la diversité exceptionnelle des métrages proposés
. L’année dernière, deux éditions avaient été proposées (dans le contexte post-covid du salutaire retour dans les salles) dont nous avions salué la réussite (pour la première comme pour la seconde). En 2022, la 28ème édition s’est déroulée du 19 au 29 novembre dans les cinémas MK2 Bibliothèque, Quai de Seine et Beaubourg. Comme les précédentes, elle a unanimement séduit le public avide de découvertes.

Joyland

Dans la Compétition Fiction, le Grand Prix du Jury a été décerné au film pakistanais Joyland de Saim Sadiq dont c’est le premier long-métrage, lauréat du Prix du jury Un Certain Regard et de la Queer Palm au Festival de Cannes 2022. Nous avons eu la chance de pouvoir le visionner et force est de constater que c’est un vainqueur magnifique. C’est avec beaucoup d’empathie que nous suivons les méandres de la relation complexe et sublime qui se tisse entre Haider, l’époux dont la sensibilité est une résistance aux injonctions patriarcales et aux codes d’une virilité castratrice (cela étant symbolisé dans la scène d’ouverture par l’impossibilité de mettre à mort l’animal sacrificiel) et Biba, une danseuse transgenre dont l’existence est une lutte de tous les instants, en proie aux réflexions dans les transports sur la place à occuper (rappelant les systèmes discriminants et la figure tutélaire de Rosa Parks) aux menaces réelles qui pèsent sur sa vie. Les interprétations d’Ali Junejo et Alina Khan sont époustouflantes, comme celles de tous les seconds rôles, au cours de ce drame non manichéen qui prend le temps de nous présenter tout un microcosme avec beaucoup de délicatesse, dans une ambiance de douce féérie au cœur du maelstrom des normes contraignantes. Le film sortira le 28 décembre.

Le Bleu du caftan

Le Prix du Jury est revenu au marocain Le Bleu du caftan de Maryam Touzani dont c’est le deuxième long-métrage (qui sortira le 15 mars 2023), multi-primé : Prix de la critique internationale au 75e Festival de Cannes, Prix de la Mise en scène et du Meilleur Acteur pour Saleh Bakri au 15e Festival du film francophone d’Angoulême. Il raconte, dans le cadre d’un huis-clos libérateur, l’histoire d’un couple dont l’homme refoule son homosexualité et de celui qui va troubler l’édifice des apparences aux fondations anciennes et promptes à s’effondrer. Là encore, les interprètes sont formidables, tout comme Kika Sena récompensée pour sa performance dans le brésilien Paloma de Marcelo Gomes, dans le rôle d’une agricultrice trans (portant le même prénom que la récente gagnante de RuPaul Drag Race France !), voulant à un mariage traditionnel dans une église avec son petit ami Zé. Inspiré d’une histoire vraie, le parcours déterminé et courageux de cette femme pauvre, noire et analphabète est une inspiration universelle, voire allégorique, pour toutes les luttes et toutes les aspirations.

Sublime

Parmi les autres métrages de fiction que nous avons eu le privilège de visionner, on retiendra le colombien Un Varón de Fabián Hernández (qui sortira aussi le 15 mars 2023), mention spéciale du Prix Libertés chéries (lauréat du Prix doté par l’ONG Solidarité internationale LGBTQI+). Le jeune Carlos, incarné par l’acteur trans Felipe Ramirez, erre entre rues et foyers à la quête de lui-même, de ce qu’il désire éprouver, de ce qu’il espère retrouver, de ce qu’il veut incarner, au risque d’être broyé par le monstre-machine d’une virilité agressive que la possession d’une arme définit, tout sentiment autre que celui d’une camaraderie de rodomontades forcenées étant proscrit, toute recherche de tendresse étant abolie, dans une atmosphère oscillant harmonieusement entre réalisme documentaire et onirisme désabusé. Le lauréat du Prix Libertés chéries a été attribué à l’argentin Camila sortira ce soir (sortie le 7 juin 2023) de Inés María Barrionuevo. Le parcours de cette adolescente se retrouvant dans un lycée traditionnaliste, synthétise les combats qui restent toujours à mener pour les droits des femmes à disposer de leur corps, pour éradiquer les stigmatisations qui les ciblent encore et toujours. Camila n’est pas présentée comme une jeune fille parfaite ou extraordinaire : elle a ses moments honteux, ses instants de doute, mais avance, en dépit des autres et d’elle-même, dans un apprentissage sans cesse renouvelé. Hors-compétition, dans le Panorama Fictions, on a beaucoup apprécié l’argentin Sublime de Mariano Biasin (sortie le 28 avril 2023). Les tourments du jeune Manuel, adolescent de 16 ans amoureux de son ami et compagnon de groupe musical, sont magnifiquement mis en scène avec beaucoup de pudeur, sans aucune dramaturgie appuyée. Une fois n’est pas coutume, l’homosexualité n’est pas source de rejet, mais est traité comme un aspect de soi allant de soi.

La Guerre de Miguel

Enfin, dans la Compétition Documentaire, le Grand Prix du Jury a été attribué à l’original La Guerre de Miguel de Eliane Raheb (Liban, Allemagne, Espagne), Teddy Award à la Berlinale 2021. Il nous décrit, de manière étonnante, en adoptant une forme hybride faite d’animation foisonnante, de reconstitution par des comédiens dont on nous montre le casting, de témoignages directs ou d’archives, le destin très particulier de Miguel qui se livre sans fard, mis en confiance par une bienveillante réalisatrice. Du Liban et ses milices à l’Espagne postfranquiste et sa liberté sans entraves, Miguel incarne tout un monde de désirs contradictoires et de vérités mises à nu. Deux prix du jury ex aequo ont été décernés : un au film croate Nun of your business d’ Ivana Marinić Kragić, narrant les trajectoires de deux femmes contraintes au malheureux dilemme du foyer ou du couvent, mais qui se libéreront de toute fatalité normative par la rencontre sensuelle et amoureuse. Les flashbacks sous forme de roman-photo confèrent un aspect intrigant à ce documentaire, la vitalité du présent apparaissant comme l’inespéré aboutissement d’un passé sclérosant. L’autre film récompensé est le français Vilain Garçon de François Zabaleta, que nous n’avons malheureusement pu voir, évoquant une amitié particulière éprouvée par un contexte broyant les individus.

Si nous n’avons évidemment pas pu tout voir, la sélection s’est à nouveau avérée d’une qualité sidérante, nous permettant de découvrir, autant en fictions qu’en documentaires et dans des mises en scène très variées, le cinéma LGBTQ+ issu de toutes les régions du globe, ce qui est un petit miracle. Nous reviendrons l’année prochaine pour une 29ème édition que l’on attend avec ferveur !

Palmarès du festival

Grand Prix du Jury – Fiction : JOYLAND de Saim Sadiq (Pakistan)

Prix du Jury – Fiction : LE BLEU DU CAFTAN de Maryam Touzani (Maroc)

Prix d’interprétation – Fiction : Kika Sena pour PALOMA de Marcelo Gomes (Brésil)

Grand Prix du Jury – Documentaire : : LA GUERRE DE MIGUEL de Eliane Raheb (Liban, Allemagne, Espagne)

Prix du Jury – Documentaire : ex æquo : NUN OF YOUR BUSINESS de Ivana Marinić Kragić (Croatie) & VILAIN GARÇON de François Zabaleta (France)

Grand Prix du Jury – Court-Métrage : HIDEOUS de Yann Gonzalez (Royaume-Uni)

Prix du Jury – Court-Métrage, ex-aequo : L’ATTENTE de Alice Douard

(France)& REGARDE-MOI de Shuli Huang (Chine)

Prix spécial du Jury – Court Métrage : LES CRÉATURES QUI FONDENT AU SOLEIL de Diego Céspedes (Chili, France)

Prix Libertés Chéries :

Lauréat : CAMILA SORTIRA CE SOIR de Inés María Barrionuevo (Argentine)

Mentions spéciales : SILENT LOVE de Marek Kozakiewicz (Pologne) & UN VARÓN de Fabián Hernández (Colombie)

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