Nos Frangins : Indigné(e)s

« Cicatrices profondes pour Malik et Abdel
Pour nos frangins qui tombent, pour William et Michel »

(extrait des paroles de la chanson Petite de l’album Putain de Camion – Renaud 1988).

Sur ces mots aux allures d’épitaphe scandés par la voix enfumée du chanteur énervant né sous le signe peu reluisant de l’Hexagone nous restâmes, les yeux embués de larmes et le coeur en sang un soir de mois d’août, dans l’euphorie paradoxale du Festival du Film Francophone d’Angoulême de cette année 2022… Souvenir d’un film surpuissant et d’une intelligence précieuse, devant – pour ainsi dire – être fait pour la beauté du geste et de la mémoire de Malik Oussekine et de Adbel Benyahia partis, fatalement, beaucoup plus tôt qu’ils n’auraient dû.

Présenté dans la catégorie des Flamboyants de la quinzième édition du FFA Nos Frangins de Rachid Bouchareb s’y est doucement mais sûrement déployé sous nos yeux de spectateurs ne sachant pratiquement rien des intentions de son réalisateur en amont de la projection. S’ouvrant sur un document d’archives retraçant les manifestations estudiantines du gouvernement Chirac durant le premier mandat présidentiel de François Mitterrand en décembre 1986 Nos Frangins fait d’emblée montre de sa maîtrise formelle et de son argument scrupuleusement historique : à l’image de son réputé Indigènes réalisé il y a plus d’une quinzaine d’années désormais (et qui revenait sur le sort des tirailleurs algériens envoyés au front par les colonialistes français durant la Seconde Guerre Mondiale, ndlr) le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb réécrit l’une des pages sombres et inavouables de l’Histoire de son, de notre pays : la double-bavure perpétrée par des voltigeurs sur Abdel Benyahia et Malik Oussekine au soir des retombées manifestantes (manifestations exécutées par une jeunesse que Charles Pasqua – alors Ministre de l’Intérieur à l’époque des faits – aimait à nommer « professionnelle de la déstabilisation » ndlr) et ayant entraîné la mort des deux français d’origine algérienne dans la foulée.

Habilement construit et raconté Nos Frangins mêle, dans le plus bel équilibre narratif qui soit, le récit de l’affaire Malik Oussekine et celui de l’affaire Benyahia dans le même métrage ; offrant à Reda Kateb et à Lyna Khoudri le rôle du frère et de la soeur de Malik et à Samir Guesmi celui du père de Abdel Rachid Bouchareb retrace avec précision et probité les faits survenus la nuit du 5 au 6 décembre 1986, montrant dans le même mouvement de complexité les limites déontologiques d’une police impuissante face au désespoir des familles touchées par le drame en question, police représentée en l’occasion par un Raphaël Personnaz impeccable en inspecteur falot et confus. Sans jamais perdre une miette de ce qui lui est présenté et raconté avec brillance par Bouchareb le spectateur voit pas à pas les nombreux paradoxes intrinsèques à l’affaire s’agrandir devant lui : on apprendra ainsi que le jeune Malik, pourtant originaire d’Algérie, voulait tellement s’intégrer à son pays qu’il en était arrivé à vouloir se convertir au christianisme au détriment de sa fratrie, ou encore que les fameux voltigeurs responsables des faits ont alors exécuté les ordres sans réelles convictions…

Impeccablement interprété, d’un Reda Kateb hautement éloquent à une Lyna Khoudri faisant l’effet d’une nouvelle Adjani en passant par un Samir Guesmi poignant en père brusque et chagrin Nos Frangins sera donc visible dès ce mercredi 7 décembre dans nos salles obscures, drame historique aux allures l’élégie reconstituant savamment tout un pan de la décennie 1980-1990. Une très belle et émouvante surprise, nécessaire et très réussie s’imposant résolument comme le parfait complément de la série Oussekine sortie sur Disney+ il y a désormais sept mois. A voir absolument.

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