Rimini : L’éternel retour des rimes intimes

Vieux crooner autrichien, Richie Bravo survit grâce à ses prestations dans des hôtels miteux de Rimini, sur la côte Adriatique. L’irruption de sa fille oubliée éveille une vision d’avenir plus authentique. Mais n’est-il pas trop tard ? Le nouveau film d’Ulrich Seidl, premier volet d’un diptyque avec Sparta, dépeint une réalité entre misérabilisme et empathie, ce qui peut gêner certains, mais que l’on peut aussi trouver enthousiasmant. Sortie le 23 novembre.

Les films du réalisateur autrichien, comme ceux de sa trilogie Paradis, ont pour point commun de dépeindre des parcours de protagonistes en recherche d’amour et d’épanouissement, devant faire face à la solitude et à la perte. Le personnage de Richie Bravo est au centre de Rimini. La performance de Michael Thomas est à ce point bluffante que l’on croit visionner, du moins au début, un documentaire ou un mockumentaire avec un vrai chanteur. Ulrich Seidl confie d’ailleurs avoir fait du sur-mesure, après avoir assisté dans un restaurant, lors du tournage d’Import/Export en 2007, à une interprétation envoutante de « My Way » de Sinatra par l’acteur. Richie Bravo est en quelque sorte un Frédéric François qui se voudrait Elvis Presley (dont le portrait orne ses appartements, tout comme celui d’un James Bond, mythe d’immortelle vigueur mettant en relief le contraste avec la déchéance d’un Richie vieillissant). Ce n’est pas une jeunesse en pâmoison qui est échauffée au cours de formidables concerts tels qu’on a pu en voir dans le Elvis de Baz Luhrmann cette année, mais un public, moins alerte et plus parsemé, d’honorables séniores dans des hôtels de seconde zone.

Notre héros ne porte en effet plus que les oripeaux d’une gloire déjà relative. On éprouve un sentiment ambivalent d’affection pour ce chanteur qui pourrait être méchamment qualifié de « has been », mais qui s’accroche et survit en perpétuant l’adoration de ses groupies de naguère par tous les moyens…dont la prostitution. Les fans sont aussi des proies et l’on est aussi singulièrement touché par certaines figures de femmes qui désirent tout autant échapper à l’effacement d’un temps où elles étaient désirantes et désirées. On assiste alors à des échanges de rôles liés à la domination, au cours desquels Richie peut laisser émerger des aspects bien peu reluisants de sa personnalité manipulatrice. Ainsi, dans ses performances vocales, on oscille entre la mise en avant de l’artificiel, du clinquant, des fameux strass et paillettes accompagnant des chansons d’amour aux paroles creuses et insincères, dissimulant fort mal leur mercantilisme dévoyé, et des chants vibrants de mélancolie  tel « Mon Winnetou » dévoilant les failles intimes de l’artiste. L’enfermement de Richie dans des lieux de jeux d’argent à la lumière des néons est emblématique de cette volonté de fuite du réel et d’illusion de châteaux en Espagne au milieu des ruines.

Mais le passé peut resurgir. En l’occurrence, pas celui des temps glorieux, mais celui des paternités honteuses. La fille de Richie Bravo, par soin retour et sa confrontation houleuse avec son père, met celui-ci face à ses responsabilités et la nécessité de la réparation. Là encore, Ulrich Seidl n’impose pas un jugement à son spectateur, mais lui restitue une vision non manichéenne des rapports humains où chacun a ses raisons et où les rapports de domination peuvent aisément s’inverser. Le Bravo libidineux au bord de l’inceste est aussi le Richie pathétique et impuissant face à l’invasion de son sanctuaire. Le grand-père génère aussi des sentiments contrastés: compassion pour l’homme aujourd’hui sénile et en déambulateur, mais aversion pour son passé nazi, dont le sous-sol de sa maison (cf le formidable documentaire du même réalisateur Sous-sols en 2014, où l’on comprend l’importance de ces pièces en Autriche comme révélatrices des personnalités des habitants… dont des nazis) conserve les reliques.

Et que dire du lieu-titre? Rimini est bien évidemment le macrocosme miroir des bonheurs perdus de notre chanteur en déshérence. Cette station balnéaire est filmée en hiver, telle une ville abandonnée de crépusculaires westerns. Les jardins d’enfants sont vides, toute flamme de vie semble éteinte, la perspective se limite au cimetière qui attend pensionnaires des maisons de retraite et public cacochyme. Cela pourrait paraître profondément déprimant pour le spectateur, mais on est aussi charmé par la beauté plastique des compositions de Ulrich Seidl, maître de la symétrie et concepteur de plans captivants au service d’une atmosphère de doux déclin.

Rimini, par sa richesse thématique, par sa magnificence formelle, par  l’ébouriffante interprétation de Michael Thomas, est un film que l’on peut recommander sans réserve, malgré l’âpreté de son sujet.

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