Ariaferma : Centre mou…

Prison, enfermement, univers carcéral… Tout un imaginaire seyant merveilleusement bien au Septième Art, avec ses enjeux et ses objectifs proprement critiques et/ou déterminants pour les personnages y évoluant. Qu’il s’agisse du cinéma outre-atlantique avec des films aussi célèbres que l’ultraviolent – mais puissant et bouleversant – Midnight Express de Alan Parker se déroulant dans les geôles turques au sortir des années 70 ou encore l’indétrônable premier long métrage de Frank Darabont (Les Évadés, véritable chef d’oeuvre et film culte de toute une génération biberonnée aux lectures intarissables du grand Stephen King, ndlr) ou du cinéma hexagonal avec les plus récents Un Prophète et Dog Pound (le premier figurant parmi les réussites majeures de la filmographie de Jacques Audiard, le second reprenant efficacement la sève narrative du percutant Scum de Alan Clarke, habilement réalisé par le français Kim Chapiron…) le film dit de prison part presque toujours avec les avantages du genre : suspense lié à une potentielle évasion, combat intérieur d’un ou plusieurs protagoniste voués à prouver leur innocence, scènes d’émeute et/ou de mutinerie capables de dramatiser le plus rêche des huis-clos ou encore échéance poignante d’une condamnation à mort (le magnifique La dernière marche réalisé par Tim Robbins, et bien entendu La Ligne verte, toujours réalisé par Frank Darabont, ndlr…). En un mot comme en cent prison et cinéma font rarement mauvais ménage, créant au mieux une profonde empathie pour ces figures incarcérées présentées au gré de leur quotidien savamment étudié et/ou reconstitué par le réalisateur concerné et au pis une passable trépidation rarement désagréable, douée d’objectifs à géométrie variable mais souvent prenants et – de fait – palpitants.

Il en fallait donc beaucoup pour parvenir à nous ennuyer avec une matière première telle que celle du dernier film de Leonardo Di Constanzo, récit du transfert suspendu d’une douzaine de prisonniers d’une prison vétuste des régions montagneuses d’une Sardaigne filmé en tons sépias ; à partir d’un enjeu qui n’en est pas un (les détenus, prêts à changer de crèche, n’en sortiront pas d’un bout à l’autre du métrage pour d’obscures raisons administratives, ndlr) le réalisateur italien développe un film aussi lénifiant que sans attraits, narrant son drame sous le signe de la situation, faute de réels rebondissements.

L’audace relative du concept est, de toute évidence, louable et courageuse, tant les réalisateurs d’hier et d’aujourd’hui se reposent sur les facilités intrinsèques au genre, facilités indiscutablement passionnantes et efficaces dans le même mouvement de maîtrise (le lyrisme et l’humanité des protagonistes des Évadés liés à leur quête de rédemption, ou à contrario l’encanaillement du héros de Un Prophète au contact des groupuscules mafiosi évoluant dans le même environnement sont deux exemples parmi bon nombre d’autres…)… Hélas Ariaferma souffre fatalement de la comparaison avec ses prédécesseurs, tant l’immobilisme du résultat inhérent à son argument empêche toute forme d’aspérité ou d’évolution émotionnelle pour le spectateur.

Le film a ceci de rébarbatif qu’il ne s’agit ni d’un authentique drame de cinéma (au sens de film purement dramatique, autrement dit formé d’actions successives) ni même un simple film immersif, tant Leonardo Di Constanzo met un point d’honneur à distancier son propos en pariant sur une imperturbable impartialité quasiment inoffensive, ne penchant jamais du côté du geôlier principal interprété par Toni Servillo ni du côté des prisonniers représenté par l’aguerri Lagioia honorablement joué par le récompensé Silvio Orlando (l’acteur reçut le David Di Donatello pour sa prestation cette année, ndlr). Du début à la fin Ariaferma cultive un statu quo au coeur duquel on s’ennuie ferme et qui s’observe du bout des yeux avec le cerveau plombé par une telle charge rebutante, fort peu séduisante et tendant vers une auteurisation pas loin d’être antipathique.

Il ne se passe rien donc, ou si peu dans ce film carcéral arborant de manière un rien suffisante ses vaines aspirations de nuances et d’équilibre soutenus mordicus par le cinéaste. On perçoit entre deux tunnels de lassitude les revendications gastronomiques de Lagioia vouées à niveler vers le haut les conditions de vie de ses congénères et son poids politique face au personnage de Gargiulo incarné par Toni Servillo, mais c’est trop chiche en termes de péripétie pour que notre rédaction ne s’emballe ne serait-ce qu’à moitié… Une amère déception.

1 Commentaire

  1. Opinion dissidente : Le rapport gardien-détenus, fondé sur la méfiance, est très bien rendu. Il faut des évènements exceptionnels pour qu’un part d’humanité se glisse dans les fissures du règlement. Chacun joue sa part, sans concession ni démagogie. La bande son du film est remarquable. La scène (cène) du banquet, dont vous mettez une belle image, est iconique. Elle évoque le topos du « repas du capitaine » dans la littérature maritime, où le navire est aussi un huis-clos sonore. Vous n’évoquez pas le personnage du jeune suicidaire qui, dans ce bref moments, va permettre que sautent quelques barrières, avec les gardiens mais aussi avec le détenu proscrit. Dans son départ vers son procès, dans le lavement du corps du détenu souillé, il incarne le parcours christique de l’expiation. Grand film, assurément !

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