Les Amandiers : Comédiens, trop humains

Il fut partie intégrante de la Compétition Officielle du 75ème Festival de Cannes ; notre rédaction eut également la chance de le découvrir en avant-première lors de la 15ème édition du Festival du Film Francophone d’Angoulême, brillante mise en abyme de la comédie humaine filmée sous toutes ses sublimes coutures… et couturières ! Un film dramaturgique par essence, profondément inspiré par tout un imaginaire théâtral et cinématographique que sa réalisatrice semble avoir tout aussi bien digéré que savamment retranscrit sur la pellicule. Il s’agit des Amandiers, heureux évènement de ce mois de novembre 2022 sortant le même jour que celui de l’anniversaire de sa principale exécutrice : la désormais incontournable Valeria Bruni Tedeschi qui fêtera ce mercredi 16 ses 58 ans, ceux d’une existence principalement consacrée à la comédie et aux acteurs et actrices la constituant, aussi bien sur les planches que devant la caméra.

Chronique méticuleuse d’une classe étudiante du théâtre des Amandiers de la banlieue nanterroise fondé par l’émérite Patrice Chéreau et son partenaire Pierre Romans dans le courant des années 1980 le film de Valeria Bruni Tedeschi distille d’emblée son charme intempestif et singulier, fortement inspiré de l’expérience personnelle de la réalisatrice ayant à fortiori fait ses premières armes de comédienne sous la coupe du célèbre metteur en scène à l’aune des années SIDA. Fruit d’un travail de recherche et de reconstitution pour le moins remarquable (la cinéaste entreprit un casting de personnalités s’étalant sur près de six mois en amont du tournage, afin de parfaire la dimension fortement humaine et émotionnelle de la troupe re-présentée in situ, ndlr) Les Amandiers est de ces longs métrages à la charge empirique particulièrement prégnante et conséquente dans le même temps, mettant à profit tous les moyens du théâtre sans se départir d’une forme éminemment cinématographique. En évitant ainsi l’écueil intrinsèque à l’expression tant galvaudée de « théâtre filmé » la réalisatrice nous plonge dès les premières minutes dans le quotidien de ses interprètes, comédiens et comédiennes s’adonnant sans relâche à des séances d’audition au coeur desquelles le travail semble être le mot d’ordre. Parmi les douze jeunes acteurs et actrices admis au second tour de la classe étudiante se détacheront alors deux figures flamboyantes, à savoir d’une part la pétillante Stella incarnée par la ravissante et prometteuse Nadia Tereszkiewicz et d’autre part le ténébreux et imprévisible Étienne joué par un Sofiane Bennacer un tantinet décevant, gagnant en personnalité ce qu’il perd en réinvention dramatique.

En sublimant chaque membre de la compagnie nanterroise tout en se réappropriant sa propre expérience de jeunesse Valeria Bruni Tedeschi brouille les frontières entre fiction et réalité, parvenant à faire exister chacun des comédiens et chacune des comédiennes… Et si nous avions d’ores et déjà pu constater la folie tour à tour fébrile et fantasque de Nadia Tereszkiewicz dans le récent Tom de Fabienne Berthaud le reste du casting réserve de biens beaux espoirs, aussi bien conjugables au masculin qu’au féminin. Nous nous délecterons ainsi de la beauté écorchée vive de la prometteuse Alexia Chardard déjà aperçue dans le Mektoub my love : Canto Uno de Abdellatif Kechiche, du charisme faussement désinvolte du superbe Noham Edje impeccable dans le rôle du meilleur ami d’Étienne ou encore de la présence de Suzanne Lindon, idéale en comédienne évincée de la promotion dirigée par l’impitoyable Patrice Chéreau lui-même interprété avec talent et précision par Louis Garrel.

Si les inspirations dudit métrage sont plus ou moins clairement affichées et assumées par la cinéaste (la relation autodestructrice liant Stella à Étienne, la passion dévorante de la première et la dépendance à l’héroïne du second convoque respectivement Opening Night de John Cassavetes et Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg à notre esprit cinéphile, ndlr) elles n’empiètent aucunement sur le déroulement du récit, montrant les acteurs dans toutes leurs failles et toute leur vulnérabilité, à commencer par la figure de Chéreau que Valeria Bruni Tedeschi désacralise avec intelligence et respect dans le même mouvement d’empathie. Fondé sur la répétition (nous préférons ce terme à celui d’acharnement, terme sans doutes trop péjoratif et peu enclin à mettre en valeur le travail de la réalisatrice effectué par le truchement du personnage incarné par Garrel, ndlr) Les Amandiers demeure une œuvre de rêve pour les spectateurs et spectatrices aspirant aux planches et aux introspections dramatiques de tout bord, véritable déclaration d’amour au théâtre et au cinéma admirable dès à présent dans nos salles obscures : une perle véritable, sensorielle et explosive tout à la fois.

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