Du Crépitement sous les néons : dans la pénombre, le cœur bat encore…

Sous contrôle judiciaire, Yann (Jérémie Laheurte) aspire à quitter une banlieue où tout n’est que menaces et frustrations, sans véritable liberté de choix. Il accepte de convoyer Dara (Tracy Gotoas), une jeune Nigériane contrainte à la prostitution, jusqu’en Espagne, terre de tous les possibles. Mais rien ne va se passer comme prévu pour les deux êtres meurtris, sans être abattus… Ce film enthousiasmant, malgré la dureté extrême de ce qu’il décrit, sort le 16 novembre.

FGKO est un duo de réalisateurs, Fabrice Garçon et Kévin Ossona, connu entre autres pour Voyoucratie en 2015 qui évoquait la difficile sortie de prison d’un père tentant de renouer avec son fils. A l’origine du film est leur découverte d’un auteur, Rémy Lasource, par ailleurs commandant de police, dont les livres Bienvenue en banlieue (évoquant le quotidien d’un jeune policier en banlieue) et Du crépitement sous les néons les ont impressionnés par leur réalisme et le souci du détail. On retrouve dans le film cette volonté zolienne de dépeindre des êtres aux prises avec un environnement sclérosant, une violence multiforme et omniprésente les contraignant à des choix parfois douteux et douloureux, à des replis et des pertes de principes, dans une visée documentariste exempte de vision surplombante. Il ne s’agit pas de juger : ces papillons de banlieue sont observés à hauteur humaine et non avec la loupe du froid entomologiste. 

L’adaptation nécessite forcément une dramatisation, un rythme et des enjeux à même de captiver le spectateur : gageure réussie par FGKO, sans pour autant délaisser la noirceur du propos sociologique. Moult personnages secondaires (la mère, l’ami…) sont autant de figures de destins brisés par la précarité de leurs conditions de vie, par les déboires personnels comme par les oublis dédaigneux des nantis. Chaque bouffée d’air au balcon, chaque étreinte esquissée est un instant volé à la pesanteur et à la froideur d’un microcosme au gris plombant.

Échapper à l’objectivation et son cortège de violence est un défi quotidien : l’horreur est ici, représentée de manière cauchemardesque dès le début du film, celle des réseaux de prostitution nigérians (qui n’est pas seulement le fait d’hommes, des « mamas » ou « madames », anciennes prostituées se mutant en proxénètes). Ce phénomène spécifique est assez peu traité à l’écran (alors que de nombreuses œuvres évoquent la question de l’asservissement du corps féminin, que l’on songe à l’éprouvante série de 2005 Matrioshki) ; pourtant, il est gravissime: aujourd’hui en France, les femmes nigérianes représentent à elles seules 72% des victimes d’exploitation sexuelle repérées par les associations. FGKO, dans un louable souci d’exactitude humaniste, s’est rapproché de l’association MIST (Mission d’Intervention et de Sensibilisation contre la Traite des êtres humains) pour échanger avec ces femmes qui ont pu raconter leur terrible parcours et coacher Tracy Gotoas (et d’autres acteurs) pour le Pidgin (un créole à base lexicale anglaise, parlé au Nigeria).

Si le réalisme du film, du fait de l’implication des réalisateurs, ne souffre aucune discussion, son identité générique oscille plutôt entre road trip, thriller et tragédie. Nous nous embrasons aux côtés de deux personnages de cinéma, magnifiquement incarnés par Tracy Gotoas (la série Braqueurs sur Netflix) et Jérémie Laheurte (La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche en 2013, Notre-Dame brûle de Jean-Jacques Annaud en 2022, ainsi que la série Paris Police 1900 de Fabien Nury en 2021). L’un comme l’autre doivent fuir, pour retrouver un bonheur confisqué en ce qui la concerne, pour entrevoir une issue bienheureuse dans son cas. Ils devront s’apprivoiser, quitte à se tromper, à errer pour mieux se comprendre et accomplir leur destinée, de nombreuses épées de Damoclès menaçant de leur trancher leurs frêles ailes à chaque étape d’un parcours qui est avant tout celui d’une confiance à accorder, en l’autre et en l’avenir. Les réalisateurs mentionnent le jeu vidéo GTA et son univers criminel, ainsi qu’Un Prophète de Jacques Audiard (2009), Drive de Nicolas Winding Refn (2011) ou American Honey d’Andrea Arnold (2016), mais on songe aussi à Bonnie et Clyde (Arthur Penn, 1967), à Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991), voire aux Fils de l’homme (Alfonso Cuaron, 2006), mais cette épopée est unique, notamment du fait de l’implication physique et émotionnelle des deux acteurs dont une accolade vous émeut au plus profond, car emblématique d’une évolution qu’ils ont su rendre crédible par les nuances de leur jeu. La violence peut être domestiquée par une tendre rencontre, hors des canons hollywoodiens, et vient à la pensée le sublime et déchirant Breathless (Yang Ik-Joon, 2008).

Comme le  réalisateur de ce dernier, FGKO a fait le choix de la caméra à l’épaule, et non du steadicam: il s’agit de rendre perceptible l’énergie désordonnée, la fougue meurtrie des protagonistes, toujours aux abois, toujours au bord de l’implosion, toujours poussés à envisager d’autres voies que celles auxquelles ils se croyaient contraints. La frénésie cinétique, qui a contaminé jusqu’au duo filmeur qui a réussi l’exploit de tourner en 25 jours en réduisant considérablement le nombre de prises potentielles, est finalement domptée par le duo de la diégèse et au service de leur épiphanie. L’est également la musique assez minimaliste rendant encore plus signifiantes et touchantes les envolées mélodiques.

Les réalisateurs le soulignent, il existe une forte symbolique associée  aux papillons. Un aspect en est exprimé par le titre, Du crépitement sous les néons, qui métaphorise l’essor empêché de nos deux personnages en quête d’envol émancipatoire. Tout leur parcours peut être assimilé à celui de larves impuissantes encourant le péril incessant de l’écrasement qui vont se nourrir l’une l’autre dans une commune chrysalide pour détenir le pouvoir du choix libérateur en un déploiement d’ailes. Le papillon bleu sera-t-il à même de franchir les oppressantes et artificielles lumières rouges d’une urbanité qui aspire à le pétrifier? Nous souhaitons, pour notre part, le meilleur des décollages à ce film puissant et généreux qui éclora sur nos écrans le 16 novembre.

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