Coma : Anna ou les limbes du bellicisme

Lettre d’amour (et de guerre) à Bertrand BonelloParis, le 17 juillet 2022.

« Cher, précieux Bertrand,

C’est au sortir de la projection unique au Festival du Film des Champs-Élysées du vendredi 24 juin de cette année de votre dernier film en date – l’hybride et fascinant Coma – que l’incroyable modernité de votre Cinéma nous est une fois encore apparue telle une évidence. Libre, ouverte et insaisissable cette modernité vous appartient depuis vos débuts, traversant vos films comme un voile tour à tour cohésif et disparate. De Quelque chose d’organique à Tiresia en passant par De la guerre puis, plus récemment, le clivant mais inoubliable Nocturama votre septième art est celui des luttes intérieures puis extérieures des figures le jalonnant avec nuances et profondeur, entre deux eaux troubles et limpides au travers desquelles les motifs se doublent puis se dédoublent, s’ajoutent puis s’annulent, fusionnent comme autant de magmas primitifs pour mieux se déliter par la suite, probables nuages de fumée aux allures de fin des temps.

Ce Coma arborescent, aussi chiche en termes de moyens qu’il n’est prodigue en termes de propositions visuelles et réflexives, vous l’avez tourné en totale indépendance à l’aune du confinement de l’année dernière ; un confinement augurant le repli puis le retour au « face à soi-même », zone de chômage existentiel propice aux luttes internes, introspectives qui siéent si bien à votre Cinéma. Vous avez simplement, humainement dédié ce présent filmique à votre fille Anna en ouvrant le bal d’images et de sons étrangement structurels, concert audio-visuel voilé d’un texte lucide mais aucunement condamnateur sur le, les mondes de demain et à venir ; un texte de votre plume, conduisant vers l’extérieur votre enfant, nos enfants, et ceux d’après.

D’emblée votre essai, votre tentative nous installe dans le vase-clos intime d’une jeune fille partageant son temps entre la chaîne de Patricia Coma (une youtubeuse vantant les mérites d’un consumérisme aussi troublant qu’anxiogène, éventuelle Miss Météo annonçant des températures que l’on souhaiterait chimériques), le terrain de jeux sitcomiesques exécutés à renfort de poupées-barbie et les nuits nébuleuses peuplées de rêves où les dangers, les peurs et les effrois du quotidien convergent pour mieux cristalliser la psyché contemporaine collective. Seule, isolée, confinée la jeune adolescente arbore les traits de Louise Labèque, herbe d’actrice que vous aviez révélé dans Zombi Child il y a trois ans désormais ; le contre-champ virtuel savamment composé par vos soins nous laissera voir la cinégénie intelligemment factice de la belle Julia Faure, prêtant son visage à l’inénarrable Patricia.

Factice… Un mot qui semble trouver grâce à vos yeux ainsi qu’aux nôtres au regard de votre Oeuvre. « L’original est vulgaire » répétait inlassablement le personnage de Laurent Lucas dans le premier quart d’heure de Tiresia en 2003. Souvent chez vous la copie vient sublimer le modèle, et à la vue de ces mannequins miniatures aux sobriquets de stars hollywoodiennes impossible de ne pas songer à votre magnifique court métrage Cindy : the doll is mine au coeur duquel Asia Argento se dédoublait avec une éloquente économie de mots il y a maintenant dix-sept ans, incarnant la portraitiste et la portraiturée dans le même mouvement d’impureté et de limpidité. Coma semble, à le regarder, se frayer un chemin dans des inframondes tour à tour crépusculaires, mystérieux et transitoires, probables antichambres accouchant d’impressions et de rêveries non-manifestes littéralement hantées et obsédantes.

Dans sa coda sublime aux fulgurances archaïques voire antédiluviennes votre nouveau long métrage vous laisse reprendre la parole, belle et tendre adresse à votre fille Anna doublée de visions évoquant le Cinéma du grand Artavazd Pelechian : fin des temps, derniers instants d’un présent que les moins de vingt ans n’auront de cesse de devoir réécrire pour leurs héritiers ; là un volcan éructant quelques jaillissements telluriques, ici des panaches de fumée grisâtres et envahissants… Entre Nature et Culture Coma porte résolument le sceau de votre Cinéma-de-sang-mêlé, un Art que l’on aborde presque sous le signe de l’apprivoisement. Ainsi cher Bertrand nous vous remercions pour cette parenthèse cinétique, musicale, sensible et des plus libres que représente votre dernier film, vous souhaitant que les spectateurs d’hier et d’aujourd’hui sauront lui rendre grâce le 16 novembre prochain.

Troublement vôtre, »

Thomas Chalamel.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*