El : Mécanismes de la jalousie

Distributeur discret mais toujours attaché à nous faire découvrir sur grand écran de beaux morceaux du septième art, Les Films du Camélia ressort le 2 novembre El (également intitulé Tourments) de Luis Buñuel dans une restauration 4K inédite, donnant toute sa splendeur à ce récit sur la jalousie pour lequel le cinéaste affirmait volontiers avoir mis le plus de lui-même au regard de ses autres réalisations.

El raconte en effet l’histoire d’une jalousie maladive et paranoïaque, celle dévorant Francisco vis-à-vis de sa femme Gloria qu’il a séduite et épousée en la piquant à un autre homme avec qui elle était déjà fiancée. Personnalité reconnue de sa ville, propriétaire foncier et fervent catholique, Francisco est, selon les apparences, un homme bien. Mais son mariage avec Gloria va le faire succomber à la folie alors que sa jalousie le ronge, décelant dans les moindres actions de sa femme des preuves de son infidélité…

Le fait que Luis Buñuel s’identifiait au personnage de Francisco et à son envie d’être Dieu pour écraser les gens qu’il aperçoit du haut d’un clocher en dit long sur la personnalité du cinéaste et s’il ne donnait pas très envie de le connaître personnellement, on comprend donc pourquoi El est une telle réussite, au point que le psychanalyste Jacques Lacan montrait le film à ses élèves pour leur expliquer les mécanismes de la jalousie. De mémoire de cinéphile, il faut dire que l’on n’avait jamais vu un portrait aussi précis et rigoureux d’un homme jaloux, figure pourtant vue et revue dans l’histoire du cinéma, au point de parfois flirter avec le cliché et la caricature. Il est donc bon de s’attarder sur El qui ne fait pas dans l’affect. En effet, Luis Buñuel pose sur son personnage un regard d’entomologiste, se montrant distant. Cela ne veut pas dire que la mise en scène est froide pour autant, celle-ci collant aux obsessions du personnage et plongeant au plus près de ses tourments mais le regard du cinéaste sur son personnage reste objectif, Francisco étant à la fois le bourreau de sa femme mais également sa propre victime, sa jalousie paranoïaque l’empêchant de profiter du bonheur qu’il a à portée de main.

Visuellement inspiré, multipliant les plans d’une beauté sidérante (dans l’obscurité de la maison de Francisco ou encore dans cette fameuse scène du clocher dont Hitchcock saura se souvenir dans Vertigo), El n’est pas seulement le portrait réaliste d’un jaloux maladif consumé par sa passion mais dépeint également une société cléricale et machiste dans laquelle Gloria ne peut qu’être prisonnière. Qu’elle se confie à sa mère ou bien au prêtre de sa paroisse, dans le regard des gens ça ne peut être que de sa faute si Francisco agit ainsi et il est inconcevable qu’un homme qui se tienne si bien en société et soit si pieux puisse avoir un tel comportement. L’occasion pour le cinéaste de fustiger aussi bien la bourgeoisie que le clergé, soit deux de ses activités favorites même s’il se montre moins cynique qu’à son habitude, la situation vécue par Gloria étant surtout très réaliste, décrivant un monde dans lequel la femme n’a aucune issue à moins que son mari ne commette un impair en public (ici en l’occurrence il faudra attendre qu’il s’en prenne à un curé pour être discrédité).

Aussi bien important sur le plan culturel (même si nous préférons d’autres films de Buñuel, il s’agit là d’une indéniable réussite) que sur le plan clinique dans sa description précise et détaillée de la jalousie paranoïaque, El est un film majeur de son auteur, conjuguant ses obsessions avec un sens du récit à la précision redoutable, de quoi se ruer dans les salles pour le (re)découvrir sur grand écran !

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