Eden Lake : Au paradis des enfers

La programmation bat son plein sur Shadowz. Le calendrier de l’Avent Halloween nous gâte cette année encore. Impossible de résister à l’envie de vous parler à nouveau d’un revival du genre. Si nous soulevions la période des French Frayeurs la semaine dernière par le prisme de notre chronique de A l’Intérieur, les britanniques ont aussi connu un bel essor au début des années 2000. Sous la houlette de deux surprises au box-office (28 Jours Plus Tard et The Descent), le pays de feue la reine Elizabeth II a vu émerger un paquet de jeunes réalisateurs friands de tripailles parmi lesquels Neil Marshall, Jake West, Christopher Smith, James Watkins ou encore Edgar Wright ont su tirer leur épingle du jeu. Comment qualifier ce renouveau du cinéma horrifique britannique ? Il se divise clairement en deux catégories. D’un côté, il y a les réalisateurs qui se posent en tant que fervents héritiers de leur humour si particulier et qui convoquent certains papes en la matière afin d’y mêler habilement comédie absurde et horreur déjantée. De l’autre côté, il y a ceux qui entendent utiliser un angle d’attaque social afin d’imprimer les rétines par des films aux propos durs et avec des scènes graphiques souvent difficilement regardables. Il y a un certain souci de frôler de très près l’immoralité afin de servir au mieux les propos défendus. C’est avec cette envie que James Watkins est venu secouer la sphère cinéphile en 2008 avec son premier long métrage, Eden Lake : un brûlot d’une violence viscérale qui entend remuer l’insécurité rampante de la société anglaise sur fond de lutte des classes. Avec une grande inspiration piochée du côté de Sa Majesté Des Mouches et des Révoltés de l’An 2000, Eden Lake refait surface sur Shadowz pour une séance qui vous marquera indéniablement.

Jenny est maîtresse d’école. Avec son petit ami Steve, ils quittent Londres pour passer un week-end romantique au bord d’un lac. La tranquillité du lieu est perturbée par une bande d’adolescents bruyants et agressifs qui s’installent juste à côté d’eux. A bout de nerfs, Steve leur demande de baisser le son de leur radio. Mais qui ose dire quoi que ce soit aujourd’hui à une bande de jeunes qui se conduit mal ? Qu’arrive-t-il à ceux qui osent ? Quel poids ont les adultes sur ces jeunes ?

Très influencé par les films d’horreur des années 1970 (son second film, La Dame en Noir, confirmera ses références), James Watkins dit s’être inspiré de Délivrance et des Chiens de Paille afin d’étoffer son scénario. Il déclarait à la sortie de Eden Lake qu’il souhaitait « revenir à l’horreur basique qui a quelque chose de vraiment terrifiante et à la fois sociologique, qui reste toujours connectée à la société, d’une manière ou d’une autre. » Eden Lake remplit parfaitement sa mission en ce sens où la violence des individus qu’il met en scène devient le reflet d’une société virulente à bien des égards. Les détracteurs portent le poids d’un climat d’insécurité dans lequel ils ont toujours baigné. Véritables reflets de leurs parents, les adolescents reproduisent ce que les adultes leur font subir. Ils ont grandit dans une ambiance où l’agressivité, la violence et les injures font légion. Ils ont également été élevés dans la haine d’autrui, et particulièrement les gens plus aisés qu’eux. Dualité éternelle entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, Watkins se sert de ces clichés afin de parfaire ses personnages. D’une part, il y a la classe ouvrière, cette ruralité anglaise qu’on laisse croupir dans son coin, bien trop irrécupérable par une quelconque institution. D’autre part, il y a les gens de la ville. Qu’ils soient modestes ou fortunés importe peu. Par cette confrontation vieille comme le monde, Eden Lake met en opposition divers sous-textes politiques pour lesquels la destruction devient inévitablement l’unique solution. Il y a cette colère des laissés-pour-compte qui pratiquent leur propre justice. L’amoralité n’a pas sa place ici, c’est la loi de la jungle, la loi du plus fort. Tous les moyens sont bons pour survivre quitte à brûler éhontément un jeune garçon qui nous fait obstacle.

Seulement, dans le monde critique de Watkins, les gens du camp adverse ne sont pas en reste non plus. Le couple est dépeint comme deux tourtereaux sans histoire à qui on ne peut rien reprocher. Évidemment, sous l’enveloppe parfaite, ces deux personnes ont également des démons qui les habitent. Ce qui les fait basculer dans la tourmente réside en leur incapacité à parvenir à se laver de leurs péchés. Steve (Michael Fassbender) est éminemment arrogant, un brin prétentieux et nourrit une colère proche de celle de Brett (Jack O’Connell), son futur bourreau. Ce qui différencie Steve de Brett se précise en la capacité de l’un à savoir refouler ses émotions quand l’autre cède sans cesse à l’impulsivité. Pour Jenny (Kelly Reilly), Watkins a un autre plan. De prime abord, elle semble être la parfaite victime au mauvais endroit au mauvais moment et qui subit les frasques de son petit ami. Plus d’une fois elle lui somme de ne pas basculer dans la curiosité malsaine ou dans l’affrontement. Lorsque l’on creuse un peu plus, elle n’est pas si différente de Paige (Finn Atkins), la petite amie de Brett. Le quatuor forme ainsi un miroir exemplaire. Nous avons Steve et Jenny qui montrent ce que la société attend de tout un chacun. En face, nous avons Brett et Paige qui représentent les êtres énervés que nous enfouissons proprement afin de pouvoir se mouvoir incognito au cœur de notre société. Résolument pessimiste, Eden Lake n’accorde aucun point de chute à aucun de ses personnages. Il les installe au cœur d’un système préétabli qui n’a qu’un but : celui de gangrener le genre humain. L’ultime séquence du film abonde dans ce sens et nous invite à reconditionner notre comportement en tant que spectateur. En dépit du fait qu’il pose des codes identifiables par tous (les chasseurs et les chassés), Eden Lake invite fortement à remettre tout le monde en question. Si bien que l’addition ne se montre pas aussi satisfaisante qu’on l’aurait souhaité. L’amertume qui reste en bouche est aussi exquise qu’affolante.

Eden Lake se pose ainsi comme tout ce que l’on attend d’un vrai bon film de genre. Une intrigue et des personnages simples, des actions percutantes et un sous-texte socio-politique puissant. Le tout est porté par un casting au firmament de son talent et souligné par une mise en scène timide, mais grandement efficace. Définitivement le meilleur film de son auteur à ce jour, et de loin !

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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