Reprise en main : Rencontre avec le réalisateur Gilles Perret

C’est en sachant qu’il avait derrière lui vingt ans de documentaire mais sans avoir vu un seul de ses films que nous avons découvert Reprise en main, premier long métrage de fiction de Gilles Perret. L’occasion pour le réalisateur de se révéler à nous avec un film à portée sociale mu par un enthousiasme et un optimisme rares par les temps qui courent et donc forcément bienvenus. Alors quand l’opportunité s’est présentée de rencontrer Gilles Perret, nous avons évidemment sauté sur l’occasion afin d’en savoir plus sur ce qui l’anime et le défi qu’a représenté passage à la fiction :

C’est votre toute première fiction mais cela fait vingt ans que vous travaillez dans le documentaire…

Oui 22 ans même, j’ai réalisé mon premier film en 2000 avec mes voisins sans bouger du village où j’habitais. Il s’est fait primer dans pas mal de festivals et ça m’a permis de continuer.

Et donc comment après tant d’années, on passe à la fiction ?

J’avais envie de traiter de ce rapport entre un patron, un banquier et un ouvrier et en tout cas de parler des relations de la finance et de l’industrie. C’était assez attrayant sur le papier mais ce sont deux milieux qui sont très secrets. La finance parce qu’ils n’ont pas intérêt à trop dévoiler leur façon de travailler et les conséquences de leurs actes et l’industrie du décolletage parce que 90% du décolletage français est situé dans la vallée de l’Arve en Haute-Savoie et que les concurrents sont donc juste en face. J’avais fait un premier documentaire dans cette vallée (Ma Mondialisation, sorti en 2006) mais là vu que ça s’annonçait compliqué, il était plus pratique de carrément inventer l’histoire. Le gros avantage de la fiction c’est justement de pouvoir prendre certaines libertés tout en gardant en tête notre objectif et de parler de la reprise en main. L’arrivée de la finance dans la vallée de l’Arve ça date du début des années 2000 et ce sont des phénomènes qui sont toujours à l’œuvre. La question qui se posait déjà quand j’ai réalisé ce premier documentaire, c’était comment faire face à cette arrivée en masse de la finance ? C’est une question qui était commune aussi bien chez les patrons que les ouvriers qui voyaient bien que la finance arrive pour piller des richesses et les redistribuer bien loin de là dans des poches qui n’en avaient pas forcément besoin. Comment se réapproprier l’outil et notre identité ? On n’avait pas vraiment de réponse et face à cela, la fiction permet éventuellement d’en amener une pour tenter de reprendre la main.

C’était donc plus facile de passer à la fiction sur ce sujet ?

Oui c’était plus facile d’écrire l’histoire avec cette liberté et puis de façon tout à fait personnelle c’était pour moi l’occasion de tenter autre chose. Je ne mets pas ça sur un piédestal par rapport au documentaire mais c’était une chouette expérience et je suis prêt à recommencer. J’espère qu’on le sent dans le film, on a eu une super équipe et de supers comédiens pour ce projet. Encore hier on faisait une avant-première à Montreuil et de tous se retrouver même après le tournage, c’est un vrai plaisir.

Vous avez donc quasiment répondu à ma question, si le sujet s’y prête, vous retourneriez vers la fiction ?

Oui c’est ça, je n’ai aucune envie de faire des films pour faire des films si je n’ai rien à raconter, il y a assez des films comme ça. Mais j’ai effectivement encore envie de raconter des choses en documentaire et en fiction. Là on travaille sur une idée sur laquelle nos distributeurs et nos producteurs nous suivent déjà pour le prochain film qui sera tourné dans le même coin. En tout cas la base du film sera chez nous, j’aime bien travailler dans le monde que je connais, je suis à l’aise et j’ai besoin de m’inspirer du réel. Tout ce que vous avez vu dans le film, c’est une bonne partie de ma vie mais c’est aussi des anecdotes de copains, de voisins… Les enfants dans le film, ce sont les enfants de mes voisins, la falaise où le personnage de Pierre Deladonchamps va grimper, je l’ai grimpée, les bistrots j’allais boire des coups dedans, l’usine j’ai travaillé dedans, mes parents aussi… J’ai besoin du réel pour travailler et j’ai beaucoup d’admiration pour ces cinéastes qui écrivent des histoires ex nihilo comme ça, j’en serai incapable. Si je n’ai pas du réel, des gens que je connais qui m’inspirent tel ou tel personnage je suis nul.

Avant de vous lancer justement dans la fiction, vous aviez beaucoup de craintes ou vous vous lanciez plutôt confiant ?

On nous met beaucoup de craintes parce que ce n’est pas la même logistique : en termes de budget, d’organisation, de casting, on est tout de même sur quelque chose de plus lourd. Il faut faire attention au jeu des acteurs, à plein d’autres détails… En ce sens ma compagne Marion Richoux qui est aussi co-scénariste du film m’a beaucoup aidé, elle a plus d’expérience dans le monde du cinéma. Et ça m’enlève beaucoup d’inhibitions, au bout d’un moment je me suis dit : ‘’il y en a qui le font, on n’est pas plus cons qu’eux, on va bien réussir à le faire.’’ Et peut-être que le fait de ne pas venir du monde du cinéma, de ne pas avoir la tête gorgée de références a été une chance également. Ce n’est pas un fait d’armes et je n’en tire pas de gloire particulière mais ça me débarrassait de certaines inhibitions. C’est pour ça que je n’ai pas travaillé avec un chef-opérateur chevronné du cinéma, je voulais me garder une certaine liberté, d’habitude c’est moi qui tiens la caméra… Le film n’a pas de prétentions cinématographiques, ce n’est pas un geste de cinéma que de raconter cette histoire, tout devait être au service du récit, on y est beaucoup allés au feeling.

Une chose qui frappe dans le film, c’est tous les termes de la finance utilisés dans les dialogues. C’est un langage très particulier mais on le comprend assez rapidement sans que ce soit didactique, comment avez-vous travaillé dessus ?

Pour ma part, c’est un truc que je connais quand même pas mal depuis Ma mondialisation. Et comme c’est un sujet qui m’intéresse, j’ai trouvé un moyen de l’expliquer simplement à mes copains, j’avais donc déjà fait une partie du travail de mon côté. Et puis rapidement on s’est dit que l’important restait les personnages et les enjeux émotionnels, ce n’est pas très grave si le spectateur ne comprend pas tout au passage. On tenait avant tout à ce que ça soit réaliste et crédible, on a fait valider le scénario à des financiers suisses. Autant quand on fait un documentaire sur la finance, on a des portes qui se ferment, autant quand on vient les voir avec une fiction, c’est plutôt ouvert et on a pu travailler avec des mecs qui font le même métier que le personnage joué par Finnegan Oldfield dans le film, qui nous ont aidé, qui nous ont rassuré sur la trajectoire du personnage. Il fallait qu’on soit imprenables là-dessus et que dans la vallée, quand les gens voient le film, ils se sentent impliqués et puissent se reconnaître dans cette histoire. Et jusqu’à présent aux avant-premières, on n’a eu que de chouettes retours là-dessus, c’est émouvant de voir les gens se reconnaître dans le film, c’est ce que je souhaitais.

C’est un film qui célèbre le collectif, j’imagine que cette envie de collectif était là dans l’équipe au tournage ?

Oui et je pense que le fait d’avoir tourné chez nous, dans des lieux qu’on connaît bien, d’avoir immergé toute l’équipe là-dedans était rassurant et pas si compliqué que je ne l’aurai pensé. En voyant que le récit était inspiré d’histoires personnelles, j’ai l’impression que les comédiens se sont un peu sentis investis d’une mission, ils devaient être bons et surtout ils devaient être crédibles car le regard des gens de la vallée m’importait énormément. Je crois que ça contribué à la bonne ambiance de tournage mais également à la justesse et à l’investissement du groupe. Forcément quand il y a une vraie envie, ça facilite énormément le travail. Et il faut souligner qu’on a eu une vraie chance au niveau du casting, il s’est fait assez facilement et on s’est retrouvés avec de beaux noms du cinéma. Je ne connaissais pas Pierre Deladonchamps et le voir sur le plateau cerner le personnage en un quart de seconde dès que les caméras s’allument c’était impressionnant. Je tiens vraiment à rendre hommage aux comédiens car le film ne serait rien sans eux.

Vous seriez prêt à les retrouver si le bon projet se présentait ?

Ah oui carrément ! Suivant les besoins de l’histoire, j’aimerais beaucoup retravailler avec eux. De façon générale j’aime rester en contact avec les protagonistes de mes films. C’est encore plus vrai dans le documentaire où je ne fais pas ça à la légère, les gens me donnent beaucoup donc en face je dois leur donner également, c’est comme ça que ça marche, c’est ce qui me plaît dans ce métier. Surtout le documentaire où tu es vraiment dans l’affect, c’est difficile de ne pas l’être…

Vos films présentent toujours une thématique sociale…

Oui mais attention sans discours ! Mes documentaires ont un fond social et politique mais c’est du fond, il n’y a jamais de discours. Ni discours syndical ni discours politique, je fuis tout ça et d’ailleurs dans le film à aucun moment tu ne vas entendre une tirade syndicale. Dans mes films, je m’intéresse aux gens, à leurs questionnements, leurs doutes, leurs témoignages mais pas sur l’engagement politique, c’est ça qui touche les gens et c’est ça qui fait politique. C’est de la politique à hauteur d’homme, à savoir comment tu te comportes à un moment donné dans un système de contraintes, est-ce que tu relèves la tête, est-ce que tu bascules ? Mais ça c’est la vie, c’est plus que d’avoir lu Le Capital de Marx et d’essayer d’appliquer au quotidien les théories qu’il y a dans le bouquin. Je le précise car dans la presse il y a un petit jeu qui consiste à me présenter comme un réalisateur militant et ça vraiment j’en ai ras-le-bol. Je fais des films. Oui je m’intéresse à des questions sociales mais ce sont des questions qui concernent 80% de la population française. Je n’aime pas ce terme de réalisateur militant parce que je sais très bien qu’en entendant ça, les gens vont avoir l’impression que mes films sont des tracts et qu’ils en ont déjà compris le discours avant de les voir, c’est connoté et je trouve que c’est vraiment fait dans l’optique de décrédibiliser mon travail de cinéaste, ça me fait chier. Même encore récemment je suis obligé de désamorcer ce terme de réalisateur militant auprès des journalistes. Ce n’est pas en filmant une réalité qu’on est militant. Mais quand tu parles de salariés, d’employés ou d’auxiliaires de vie sociale dans le cinéma français, tu es forcément militant…

Sans être militant, le film a quelque chose d’assez salvateur pour lui, c’est l’enthousiasme qui s’en dégage. On est plutôt habitués aux films sociaux un peu lourds qui se font également l’écho d’une certaine réalité mais ça fait beaucoup de bien de voir que dans un film à portée sociale, la reprise en main effectuée par les personnages fonctionne.

C’est vrai que les films sociaux un peu plombants reflètent une certaine réalité mais ce n’est pas ce que j’avais envie de raconter. En ce moment ce n’est pas quelque chose que je veux porter. Alors oui généralement le délégué syndical finit par se suicider mais je suis plutôt de nature optimiste. J’ai fait un documentaire sur des résistants de la seconde guerre mondiale et eux aussi étaient optimistes dans une situation beaucoup plus dramatique, je n’ai pas le droit d’être pessimiste. Dans les situations les plus graves, on a su se relever quand on était tous ensemble. C’est pour ça qu’il y a une joie du groupe dans mon film, on ne s’en sortira jamais en se divisant et j’avais envie de transmettre cette joie communicative, de montrer que quand on est ensemble, on est bien.

Propos recueillis à Paris le 19 septembre 2022. Un grand merci à Gilles Perret et à Claire Viroulaud pour la possibilité de cet entretien

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